Enigme de Kara
" Autrefois, étant chercheur, j'essayais de me cantonner aux faits. Homme d'affaires, je m'en tenais aux éléments concrets que l'on pouvait coucher sur le papier. A ce dont on pouvait présenter une preuve scientifique, laissant aux psychologues, aux prêtres ou aux artistes, plus impulsifs que moi, les soucis de l'âme et de l'esprit .C'était toujours plus simple quand on pouvait, en négociant, préciser les divers points dans un contrat dont le texte et les implications avaient reçu l'accord de toutes les parties. Mon besoin de sécurité, de vie bourgeoise et de prévisibilité résultait peut-être aussi de la vie chaotique menée par mon père . Mais la vie n'a pas de solution .L' histoire m'a peut-être appris que l'équation de l'existence est rarement résolue .
Comme les pays pleins de secrets et de mystères qui l'avaient formée et qu'elle tentait d'oublier, mon épouse dissimulait plus que sa part d'inconnu. Je postulais que je ne connaîtrais jamais ni les tréfonds de son esprit ni ses souvenirs les plus lointains et cachés, cependant, après dix années de mariage, je croyais avoir réussi à la comprendre autant qu'il est possible de comprendre un autre être humain. Peut-être n'aurais-je pas dû être étonné, mais je l'ai été, en cette matinée d'avril, quand elle a posé devant moi, sur notre table de cuisine, une brochure haute en couleurs qui m'a donné ma première impression de ce bateau blanc appelé le ROSSIYA, amarré au soleil, innocent et accueillant, sur un large fleuve entouré de grasses prairies verdoyantes.
"J'aimerais faire une croisière sur ce bateau" m'a dit ma Nathalie, nous embarquons tous les deux dès cet instant, devant notre table de cuisine, pour le voyage fatal qui a transformé notre vie pour toujours, même si ce changement avait de longue date sans que je m'en sois aperçu.[...]
Le seul fait qu'elle veuille partir m'a surpris .Qu'elle veuille partir pour la Russie m'a surpris encore plus.Elle avait consacré des années de sa vie à se détacher de ce pays, allant jusqu'à refuser de pratiquer sa langue maternelle pour ne la lire que dans le contexte professionnel."
Kara nous donne, comme indice, que cet extrait est issu du septième roman traduit en français de l'auteur. Il s'agit d'un écrivain journaliste européen (sympathique) qui met toujours un peu de lui-même dans ses romans.