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L'astragale de Cassiopée
8 mars 2014

journée des femmes (en guerre) : Les Troyennes d'Euripide au vingt et unième siècle en Syrie

Les Troyennes au vingt et unième siècle : femmes en guerre d'Euripide à la Syrie

Heather McRobie, Charlotte Eagar, et Georgina Paget 21 Février 2014

Published on openDemocracy (http://www.opendemocracy.net) Trojan Women in the twenty first century: women in war from Euripides to Syria

En décembre dernier, un petit groupe de bénévoles a organisé une production des « Troyennes » avec les réfugiées syriennes vivant actuellement en Jordanie. Heather McRobie évoque avec deux des organisatrices la façon dont l'art parle à celles qui ont survécu à un conflit, et de la signification des « Troyennes » dans un contexte moderne d’expériences féminines de la guerre.

« Les Troyennes » d'Euripide est l'un des témoignages artistiques les plus durables de la souffrance humaine en temps de guerre. En décembre dernier, un petit groupe a organisé une production de la pièce avec les réfugiées syriennes vivant actuellement en Jordanie. Charlotte Eagar et Georgina Paget , qui ont été impliquées dans la production de la pièce, discutent de leurs expériences de la mise en scène de la pièce, depuis les questions pratiques de la production et l'utilisation du théâtre dans la guérison d'un traumatisme, jusqu’à l'importance de témoigner de l'expérience féminine de la guerre, souvent tue.

 

Heather McRobie : Tout d'abord , Charlotte , pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le projet et commentça a commencé. D'où vient l' idée? L'accent était-il mis sur l'importance de travailler avec les femmes syriennes ? Ou l'idée est-elle venue de vouloir monter la pièce d'Euripide en particulier?

Charlotte Eagar : L'idée est venue de deux directions différentes . Il ya plusieurs années , en 1992, je suis allée en Bosnie en tant que correspondant de presse, tout juste sortie de l'université, et j'ai passé tout l'été à interviewer les réfugiés. Cet automne, j'ai écouté les Troyennes sur le BBC World Service. Je l'avais aussi étudiée à l'université. Je me suis soudain rendu compte que les histoires dans la pièce étaient les mêmes histoires que j’avais entendues des réfugiées tout l'été - le viol, le meurtre, la destruction, l'exil, la perte. Que rien n'avait changé. Puis, en avril  dernier, j'ai eu une conversation avec Oxfam qui m'a demandé de réfléchir à un projet à mener avec les réfugiées syriennes . Mon mari [le réalisateur Willy Stirling] et moi venions de terminer les répétitions et le tournage d'un mini soap-opéra mini avec groupe de théâtre amateur d'enfants des taudis de Nairobi. Le mini soap a été créé dans le bidonville où vivaient les enfants, Dandora, aux limites de Nairobi, sur la plus grande décharge d’Afrique. En raison de la similitude avec leur propre situation, les enfants ont pu présenter des performances très convaincantes. Mais plus important encore, nous avons pu voir qu'ils avaient été transformées par l'expérience - qu'ils avaient beaucoup plus confiance en eux, qu’ils étaient en mesure de regarder la vie différemment, et qu’elle leur avait donné de nouvelles opportunités.

Nous pensions faire la même chose avec les Syriennes - quelque chose de difficile à faire qui leur donnerait de l'autonomie, mais aussi qui, compte tenu de la similitude de leur propre situation, avait une chance d’être  artistiquement puissant aussi. Nous avons également réalisé que si nous y arrivions, le projet pourrait être utilisé pour attirer l'attention d’une communauté internationale plutôt amorphe sur la crise des réfugiés syriens, qui se transforme en une catastrophe humanitaire .

HM : Les réfugiés en Jordanie sont évidemment souvent dans des situations précaires et instables, depuis leurs problèmes pour obtenir le droit de travailler jusqu’à la perte des liens sociaux liée au déplacement. Quels sont les obstacles pratiques que leur statut de réfugiés pose aux acteurs pour les répétitions et la mise en scène de la pièce?

Georgina Paget : Il y a eu tellement d'obstacles - mais aucun d’insurmontable, heureusement ! Pour commencer, nous avons décidé de travailler avec les réfugiés urbains, car, bien que les camps ne soient en aucune façon un bon endroit à vivre, il y a là habituellement au moins un sens de la communauté. Nous avons été informées qu'un projet comme celui-ci était vraiment nécessaire pour ceux qui ont été dispersés, ces réfugiés urbains sans communauté qui tombent souvent entre les mailles du filet faute de réseau de soutien. Cela signifie que trouver notre distribution fut d'abord un défi, car nous étions à la recherche de personnes ayant été dispersées, et donc dépourvues de toute communauté, où nous aurions pu aller les inviter à nous rejoindre. Mais après quelques démarches grave à l'extérieur du bureau d’enregistrement du UNHCR, (le Haut Comité pour les Réfugiés des Nations Unies) et même après avoir rencontré des gens chez eux pendant une dizaine de jours, une fois qu’elles se furent donné le mot, nous avons eu cinquante femmes qui ont rejoint le groupe en deux jours. Malheureusement, nous avons dû en refuser plus de cent autres qui étaient venues le troisième jour et qui ne tenaient tout simplement pas dans la salle de répétition ! C’est bien d’avoir de la sur popularité, mais nous espérons toutes que nous pourrons exécuter d'autres projets avec les quelque cent autres.

Initialement la plupart des femmes en connaissaient seulement une ou deux autres dans le groupe, et de ce fait - outre bien sûr leurs expériences - bâtir la confiance a été le premier obstacle à surmonter. Mais Omar, le metteur en scène et son équipe, ont fait un travail fantastique pour rendre cela possible. À la fin de la production la distribution avait vraiment pris - elles ont monté et géré leur propre groupe Facebook, elles s'entraidaient pour apprendre leurs textes, et elles se sentaient vraiment une famille. Tant et si bien que, par exemple, lorsque l'une des femmes de la distribution s’est retrouvée sans-abri après que le toit de sa maison a été arraché pendant des tempêtes de neige anormales [en Décembre 2013], l'une des autres femmes qu'elle avait rencontrées à l’occasion de la pièce l’a invitée avec son mari et son fils à rester avec eux le temps qu'il faudrait.

Les tempêtes de neige ont franchement été un cauchemar logistique, et elles ont certainement exacerbé certains problèmes existants - comme les conditions de vie de la distribution - et dans ce très mauvais temps, les bus que nous avions loués pour amener les femmes aux répétitions ne pouvaient même pas accéder au théâtre sur la colline et tout le monde a dû sortir et de marcher à pied. Certaines des femmes, ou leurs familles, étaient préoccupées à l’idée que leur implication dans le projet se sache à leur retour en Syrie et crée des problèmes à toute leur famille encore au pays, si bien que quelques-unes ont arrêté de jouer, même si certaines ont surmonté ce problème en se mettant un niqab sur le visage .

Je ne suis pas sûre que ça s’appelle un obstacle pratique, mais même si toutes n’avaient pas des enfants, un groupe de 50 femmes impliquait une crèche d'au moins 80 enfants. Ce fut indéniablement la pagaille au début (surtout que la plupart des enfants étaient profondément traumatisés eux-mêmes et que beaucoup n'étaient jamais sortis de leurs propres familles avant – on a tiré beaucoup de cheveux et déchiré bien des jouets au début), mais c’a été en fait une excellente occasion pour le psychologue qui travaillait avec les acteurs d'avoir chaque semaine une série de séances de thérapie par le jeu avec les enfants, et aussi de travailler avec les mamans sur la façon d'aider leurs enfants à surmonter un traumatisme .

HM : Pourquoi «les Troyennes » ? Cette pièce a-t-elle quelque chose de particulier, qui parle à des expériences modernes de conflit ? Avez-vous envisagé d'autres textes ou bien le texte d'Euripide a été central dès le début du projet ?

CE : C’a toujours été Euripide, dès le début. Euripide a écrit la pièce en 415 avant JC comme une protestation anti-guerre, se plaignant de la façon dont les Athéniens s'étaient comportés quand ils avaient pris l’île neutre de Mélos, tuant tous les hommes et vendant les femmes et les enfants en esclavage. Nous voulions aussi utiliser une pièce célèbre, parce que nous savions que cela pourrait être considéré comme une métaphore. Aussi parce que nous nous sommes rendu compte que ce serait beaucoup plus facile pour recueillir des fonds, et aussi pour l’utiliser comme un outil de relations publiques, que, par exemple d'écrire une pièce nouvelle sur le conflit syrien. Mais bien sûr, le génie des « Troyennes » est que vous pourriez littéralement la situer n'importe où, avec des réfugiés dans une zone de conflit depuis la Syrie à la Somalie en passant par les groupes de réfugiés au Royaume-Uni. Et nous espérons que dans l'avenir le projet des Troyennes pourra s'étendre à d'autres zones de conflit. (souligné par moi J-o)

Nous avons examiné d'autres pièces, des pièces différents à utiliser pour d'autres projets, mais rien jusqu'à présent n’est aussi parfait. Comme je le disais, le grand avantage des Troyennes est que, comme la troupe amateur joue (rejoue ?) des expériences très semblables à la sienne, même s’ils ne sont pas des acteurs professionnels, ils peuvent donner des performances très fortes.

HM : Quelle a été la réception de la pièce par le public à Amman en décembre ? Des réponses surprenantes ou des commentaires ?

GP : Je ne suis pas sûre que ce soit nécessairement surprenant, mais parmi des réponses et des commentaires extrêmement positifs, nous avons eu un avis légèrement négatif dans un journal arabe en ligne qui a trouvé que la production était à l’évidence trop influencée par l'Occident parce que Bachar Al Assad n'était pas mentionné. Mais en réalité, c'était un choix que les femmes avaient pris entre elles, et il y a une grande scène qui parle exactement de cela dans le documentaire. Elles avaient reçu carte blanche du directeur et de son équipe .

Mis à part cela, il était intéressant de noter que même ceux dans le public qui ne parlaient pas l'arabe et suivaient l'action via les notes de programme, ont trouvé la production très forte, et ont été particulièrement émus par la distribution présentant sur scène leurs histoires de la vie réelle. Pour les réfugiés qui étaient dans le public, l'expérience a été apparemment profondément cathartique, du fait essentiellement, dans un certain sens, qu’ils ont voyaient leur vie réelle se dérouler sur scène.

Ajoutez qu’ils ont vu un public regarder, et commencer à comprendre à quoi leur vie ressemblait. Et ce fut exactement la réaction du public de non - réfugiés. Il est difficile de faire preuve d'empathie quand vous ne savez pas, quand vous ne comprenez pas. Ceux à qui j'ai parlé sont repartis très frappés par ce qu'ils avaient vu, disant que peu importe combien ils avaient suivi le conflit et la crise humanitaire aux informations, ils n'avaient aucune idée de ce que signifiait vraiment le fait d’être dans cette situation jusqu'à ce qu'ils l’aient vu joué sur la scène.

HM : Charlotte, vous avez commencé votre carrière à Sarajevo pendant le conflit des années 1990, et le projet des « Troyennes » évoque immédiatement la mise en scène de Sontag de « En attendant Godot » pendant le siège de Sarajevo. Était-ce une source d'inspiration ? Ou était-ce plutôt votre expériences générale en Bosnie ? Est-ce que le théâtre est un média qui parle aux gens de façon immédiate, ou nécessaire, en temps de guerre ?

CE : Oui , en quelque sorte. Je me souviens très bien de Susan Sontag venant à Sarajevo. J'étais correspondant de  The Observer là-bas, et j'ai séjourné dans le même hôtel que Susan . Elle est restée environ six semaines et je suis arrivé à la connaître un peu et j’ai « couvert » la pièce. Je dois dire que beaucoup de journalistes étaient assez cyniques au sujet de sa présence, et pensaient que les habitants de Sarajevo n'avaient pas besoin de « En attendant Godot » , mais nous avions tout à fait tort. Les habitants de Sarajevo étaient culturellement affamés et à court de nourriture. Ils se voyaient comme la capitale culturelle de la Yougoslavie avant la guerre. J'ai interviewé Susan et écrit un article sur la pièce qui je l'espère reflète cela. Malheureusement, mon éditeur l’a titre « Radical Chic au théâtre de l'absurde » et Susan Sontag ne m'a plus jamais adressé la parole !

Mais je me suis toujours souvenue de la grande reconnaissance des habitants de Sarajevo pour elle, et pour les artistes qui ont reconnu que les gens ne sont pas seulement des animaux, et n’ont pas seulement besoin de nourriture et d'abri. Cela ne veut pas dire que le UNHCR n'a pas fait un travail incroyable à Sarajevo, ils l'ont fait , et les convois de vivres de l'ONU et ainsi de suite ont maintenu la ville en vie, mais les gens ont aussi besoin de nourriture pour l'esprit et l'âme. Et bien sûr, en temps de guerre , quand les gens sont du fait même de leur situation, plus tristes, plus confus, plus à la recherche d'un soutien psychologique ou émotionnel, les arts sont un outil extrêmement puissant.

HM : Georgie , vous avez travaillé avec des femmes qui ont connu récemment des conflits , y compris la perte de membres de leur famille, puis qui sont devenues des réfugiées – la pièce a-t-elle joué comme un débouché pour les femmes concernées de travailler à travers leurs expériences de la guerre ? Si oui, comment cela s'est-il passé?

GP : Le retour que nous avons eu des femmes impliquées était que d'avoir un forum pour parler de ce qui leur était arrivé avec d'autres ayant vécu des expériences très similaires, et aussi d'explorer ces expériences communes par l'intermédiaire de personnages fictifs qui avait également connu ces choses, leur a donné une nouvelle force. Elles ont dit qu'elles avaient tant à de choses à ex-primer ; la douleur, la colère et un fort sentiment d'injustice et d'impuissance - tant d' émotions différentes qu'elle avaient gardé pour elles-mêmes et verrouillé, essentiellement. La dépression et «la panne de détresse »[shut-down] qui accompagnent un traumatisme signifient généralement que la créativité de la personne s'arrête aussi, donc pour le casting, commencer à s'ouvrir et à partager dans le contexte de l'atelier de répétition, puis dans le contexte plus large de la pièce a été un facteur extrêmement fort d’autonomisation. Dans un sens , ils étaient en mesure d'apporter quelque chose de positif de quelque chose de si terrible à créer quelque chose à partir d'un lieu de destruction et de perte .

HM : En plus de mettre en scène la pièce, votre production a organisé des ateliers de théâtre avec les réfugiées syriennes à Amman . Comment cela a-t-il marché ? Était-ce important d'avoir un élément de « thérapie par le théâtre » dans la production ? Et comment ces ateliers nourrissent-ils le « produit final » du spectacle mis en scène ?

CE : Les ateliers étaient essentiellement une partie des répétitions pour le spectacle. Il était très important pour l' esprit même du projet d'avoir un élément de thérapie par le théâtre, car nous voulions que les femmes soient en mesure d'exprimer leurs sentiments , et ressentent une sorte de soulagement à la grande tristesse dont beaucoup d'entre elles souffraient. Être un réfugié est essentiellement déprimant et ennuyeux. Vous avez perdu votre maison, votre travail, votre ancienne vie, et dans de nombreux cas, les membres de votre famille, vos amis - littéralement. Les femmes ont pu raconter leurs propres histoires dans les ateliers - et beaucoup d'entre elles ont dit que c'était merveilleux de pouvoir enfin dire à un monde apparemment insensible ce qui leur était arrivé. Et beaucoup de leurs histoires ont été intégrées dans le texte final de la pièce. Les ateliers ont également permis une nouvelle communauté pour les femmes, dont beaucoup se sentaient très isolées à Amman. Certaines des femmes qui voulaient être dans les ateliers n’ont pas voulu pas prendre part à la production finale sur scène, mais au moins elles ont eu l'avantage de participer aux ateliers.

HM : La pièce a été jouée à Amman en Décembre, là où les actrices sont maintenant basées en tant que réfugiées. Leur implication dans le jeu a-telle été un moyen d'explorer quelques-unes des questions sur ce que signifie être un réfugié ? Et peut-être une façon de prendre en compte de nouvelles réalités ?

GP : Exactement. Plusieurs des femmes participantes ont indiqué s'identifier fortement avec les personnages de femmes réfugiées dans la pièce, et en particulier la perte dévastatrice et le bouleversement total de leurs vies. Nous avons filmé une interview de l'une des femmes participantes, Fatima, (que vous pouvez voir sur notre site Web), où elle nous explique cela. Elle établit un parallèle entre Hécube, jadis reine de Troie, et elle et ses collègues membres de la distribution. Hécube dirigeait un royaume, et Fatima et plusieurs autres oient les maisons qu'elles tenaient comme leurs royaumes perdus, si vous voulez.  "C'est nous maintenant", dit-elle. Mais sur un ton très positif, tous les participants ont dit que l'expérience d'explorer ces nouvelles réalités et de les jouer devant un auditoire de gens qui écoutaient vraiment ce qu'elles avaient à dire, a été extrêmement stimulante. Plusieurs femmes ont dit avoir retrouvé leur voix et ont insisté sur le fait qu'elles voulaient que le monde entier entende parler de ce qui leur était arrivé . Elles ont estimé que la pièce les exprimait, elles et leur vie telles qu’elles étaient maintenant .

HM : Le canon de la littérature et du théâtre grec s’est évidemment fortement poursuivi dans la culture et l'éducation arabe. Dans la distribution beaucoup étaient-elles familiarisées avec la pièce d’Euripide ? Les réponses à la pièce en provenance de la distribution étaient-elles différentes de ce à quoi vous êtes habituée, comme quelqu'un qui est venu au théâtre grec via (ce qui pourrait être considéré comme) une éducation «occidentale» ?

GP : En fait , bien que presque tout le monde connaissait l’histoire, chaque fois que Troie était mentionné, le plus souvent le nom de « Brad Pitt » sortait du film récent! L'histoire telle qu'elle est interprétée par des cinéastes occidentaux semblait être très bien connue. Quant aux interprétations, une chose que j'ai trouvé très intéressante, c'est que personne ne voulait jouer le personnage d'Hélène de Troie. Il y avait un fort sentiment général qu'elle était peu aimable et antipathique, et c'est un euphémisme ! Donc à la fin la représentation s’est concentrée sur les expériences des personnages de réfugiées et la scène du jugement d’Hélène n'a pas été incluse. (souligné par moi J-o)

HM : Suite à la mise en scène à Amman en décembre, il y a maintenant un film à venir prochainement basé sur les ateliers et l'expérience d’adapter la pièce, n'est-ce pas ?

GP : Autant que la distribution pourrait jouer la pièce à des centaines de spectateurs, nous avons pensé que ce serait une occasion extraordinaire que les histoires de ces femmes puissent atteindre un plus large public international par l'intermédiaire d'un film. Nous avons réussi à obtenir une subvention pour couvrir le tournage du film, et nous avons été très chanceux d'avoir la cinéaste primée Yasmin Fedaa, qui a des liens de parenté avec la Syrie et a passé beaucoup de temps là-bas, pour filmer l'ensemble du projet du premier jour des ateliers jusqu’aux rappels lors du rideau final. En quelques jours, elle a construit le plus merveilleux lien de confiance avec les femmes de la distribution, de sorte que, même si certaines n’ont pas voulu être filmées pour des raisons de sécurité, elle a pu filmer des ateliers, des répétitions, et les conversations lors des pauses entre les répétitions (qui sont souvent tout aussi intéressantes !). Elle a suivi en particulier trois des femmes, qui l'ont invitée chez elles, où elle a été en mesure de les filmer avec leurs familles et d’avoir ainsi une occasion sans précédent d'observer les réalités de la vie quotidienne pour les réfugiées syriennes qui vivent à Amman, et d'entendre leur point de sur ce qui s'est passé pour elles et pour leur pays.

Dans le documentaire, vous voyez vraiment le rire, les larmes, les discussions animées, et la transformation de ces femmes d’amateurs (amateures ? amatrices ?) un peu nerveuses – en fait aucune n'avait jamais joué auparavant ! – en femmes qui avaient retrouvé leur confiance et qui voulaient parler et témoigner. C'est une vision trop rare, je crois, et c'est ce qui me passionne le plus dans le documentaire. La surprise pour moi a été de savoir combien certaines images étaient réellement comique - mais compte tenu de la bonne humeur et de la combativité de certains des personnages impliquées, ce n'est peut-être pas une surprise ! Nous sommes dans les premières étapes de la post-production, et à la recherche de financement pour monter le film et fin prêt pour le public.

HM : Vous avez l'intention de retourner en Jordanie et de jouer la pièce en tournée en 2014 dans différentes villes à travers le pays. Qu'est-ce que cela implique? Y aura-t-il de nouveaux ateliers ? La tournée est-elle prête à démarrer ou y a-t-il encore des incertitudes sur le financement et la logistique ?

GP : Après le succès de ces représentations nous avons été invitées à partir en tournée jusqu’aux États-Unis et en Europe , mais nous visons vraiment à élargir notre public aux réfugiées en Jordanie à la communauté d'accueil jordanienne , et à d'autres publics de réfugiées au Proche Orient. Nous travaillons là-dessus maintenant, et également sur la création de nouveaux groupes de thérapie par le théâtre et sur de nouvelles productions de cette pièce ou d’autres pièces qui pourraient marcher dans ce contexte en Jordanie et, nous l'espérons, ailleurs dans la région. Nous tenons également à amener ce projet dans des camps de réfugiées. Un avantage de ce projet est qu'il peut fonctionner partout avec n'importe quel groupe de réfugiées.

A ce stade, cependant, nous sommes une petite équipe, et le budget pour ce premier projet a été financé par des dons privés. Donc, pour étendre le champ de ce projet et le faire avancer, nous cherchons à augmenter notre financement et aussi à collaborer avec les grandes organisations qui ont des objectifs similaires. Le HCR est désireux d' apporter son soutien à une tournée mobile en Jordanie dans le but d' atteindre les communautés de réfugiés qui sont les plus vulnérables et les plus difficiles à atteindre, ce qui est encourageant - mais nous avons besoin de plus de partenaires et d’un peu plus de financement pour y arriver, ce àquoi nous travaillons maintenant. La plupart des acteurs et des actrices sont heureux de voyager, ils insistent même, et la logistique pose à certains égards moins de problèmes. Bien sûr, obtenir pour la troupe des visas de sortie de Jordanie sera une expérience intéressante. En fait, je pense que c’est le Royaume-Uni qui pourrait se révéler le pays le plus difficile d’accès, à tous égards .

HM : Enfin , la production des « Troyennes » placé les expériences des femmes syriennes sur le devant de la scène. êtes-vous déçue par l'absence de voix de femmes syriennes  lors des  pourparlers de paix [Genève 2] ce mois-ci ? Mettre en scène la pièce à Amman, est-ce un effort pour mettre en évidence la façon dont nous devons écouter les expériences des femmes dans la guerre ?

GP : Absolument. Une chose qui revenait sans cesse au cours des ateliers , c'est que les femmes se sentaient ignorées du monde extérieur. Le sentiment dominant était que personne ne se souciait de ce qu'elles avaient souffert ou de l'extrême difficulté de leur situation actuelle, et que ce qu'elles voulaient avant tout, c'était une plate-forme pour s'exprimer. Beaucoup d'entre elles ont dit qu'elles avaient espéré quelque chose comme ça. Alors qu’il y avait bien sûr un large éventail d'opinions politiques au sein du groupe, ce sur quoi elles voulaient toutes se concentrer c’était le coût humain de la guerre. Le récit dominant du conflit syrien est très masculin pour le moment. Mais bien sûr, c'est moins de la moitié de l'histoire. Les femmes et les enfants représentent quelque chose comme plus des 3/4 des réfugiés syriens. Les expériences et les opinions du groupe avec qui nous travaillions étaient bien sûr similaires mais elles composaient aussi tout un échantillon varié, et une partie significative de l’histoire du conflit en Syrie - une partie qu'elles estimaient dépourvues à jamais de témoins ou de documents sauf à avoir une tribune pour se faire entendre. Ce qui serait une énorme injustice envers elles, les négociations en cours, et l'Histoire .

 

À propos des auteurs

Georgina Paget est producteure de films, basée à Londres. Elle est l'un des trois co-producteurs qui gèrent les projets les Troyennes en Syrie, et produit le long métrage adapté de la pièce (tournage à la fin de l'été 2014 en co-production avec la société palestinienne Philistins Films), ainsi que le 'pilote' en 2013, le titre provisoire « Queens Of Troy ».

Charlotte Eagar est une journaliste d'investigation, correspondant international reconnu, et scénariste.

Heather McRobie est journaliste et écrivain , et co-rédactrice en chef de openDemocracy 50.50. Son livre liberté littéraire : un droit culturel à la littérature a été publié en Décembre 2013

 

Source URL: http://www.opendemocracy.net/5050/heather-mcrobie-charlotte-eagar-georgina-paget/trojan-women-in-twenty-first-century-women-in-wa

traduction utilitaire J-o.

note : j'ai le plus souvent traduit refugees par réfugiées, au féminin, mais le texte original est parfois ambigu

 

 

 

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