Incipit-bulle du dimanche
Pas de renseignement sur les débuts de roman de ce soir qui n'ont pas, non plus, de lien entre eux.
Je me permets de suggérer qu'il y a une alternative à la triche googlelienne dès que l'on ne sait pas et c'est de commencer par tenter de donner une date (époque), une langue, puis un ou plusieurs auteurs, c'est-à-dire prendre le risque de se planter. Le sommet de l'incorrection est de tricher et de donner les noms trouvés par ce biais cinq minutes après la mise en ligne du jeu. J'ai vu récemment que cela se faisait parfois.
Tout de même, pour ce soir, les 1. et 3. sont des débuts de roman très caractéristiques de leur écrivains respectifs. La 2. est un peu plus difficile, l'auteur moins "célèbre"...
A vous.
1.
" Ou tu renonces à baiser toutes les autres, ou tout est fini entre nous.
C'était à devenir fou, c'était invraisemblable et totalement imprévisible, mais tel fut l'ultimatum qu'une femme de cinquante-deux ans adressa, en larmes, à son amant de soixante-quatre ans le jour anniversaire d'une liaison incroyablement débridée qui durait - et qu'ils avaient réussi, chose non moins incroyable, à garder secrète - depuis treize ans. Maintenant, avec le reflux des sécretions hormonales, avec la prostate qui grossissait, avec sans doute pas plus de quelques petites années devant lui à pouvoir encore à peu près compter sur sa virilité- avec peut-être pas tant d'années que ça à vivre - là, au moment du commencement de la fin de tout, et sous peine de la perdre, il était mis en demeure de changer du tout au tout."
2.
" C'était un dimanche matin et comme chaque matin je m'étais réveillé à sept heures vingt. Ni sept heures et quart ni sept heures et demie : sept heures vingt.
Il se trouve niché quelque part en moi, dans ma tête ou dans mon coeur ou dans mes yeux, une sorte de déclic qui me fait resurgir à la vie, chaque jour, très exactement à la même heure. L'heure de ma naissance je présume. J'ai souvent sur ce point interrogé ma mère, mais je n'ai pu obtenir que des réponses fort imprécises.
Ma mère a mis au monde un grand nombre d'enfants, dont la plupart, heureusement, n'ont pas survécu, et je crois qu'elle mélange quelque peu ses souvenirs d'accouchement. D'après mes calculs astrologiques, il me semble qu'elle confond ma naissance avec celle d'une petite prématurée, qui se fût appelée Blanche ou Blandine, et dont j'ai toujours eu le sentiment d'avoir pris la place au soleil.
Je pense souvent à cette soeur que je n'ai pas eue. Où s'en est-elle allée, dédaigneuse de la vie, de la terre, morte avant d'être née? Il me semble que je lui dois beaucoup et que je lui ressemble, comme si elle avait laissé pour moi, avant de partir, une petite graine de folie et de sagesse, dans la cachette maternelle où je fus formé après elle. Un message secret, indéchiffrable mais si important, et que je n'aurai jamais fini de méditer. Où s'en est-elle allée? Et la retrouverai-je un jour? Quand je serai moi-même redevenu une petite graine, et que je m'envolerai loin, très loin, ailleurs, léger comme le pollen des astres... "
3.
" Pendant toute l'après-midi, le vent filtra des noires gorges du pays de Galle, proclamant que l'hiver avait glissé du pôle sur le monde, et, du côté de la rivière, on entendit la glace nouvelle gémir à petit bruit. C'était une journée triste, une journée d'agitation grise, de mécontentement. La bise légère semblait déplorer en une douce et tendre élégie la perte d'un être plein de gaieté. Mais, dans des pâturages, les grands chevaux de labour frappaient du pied d'un air inquiet, et, à travers tout le pays, de petits oiseaux bruns, par bande de quatre ou cinq, voletaient d'arbre en arbre en pépiant, à la recherche de recrues pour leur migration vers le sud. quelques chèvres, grimpées au faîte de hauts rocs solitaires, contemplaient longuement le ciel de leurs yeux jaunes et reniflaient l'air froid."