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L'astragale de Cassiopée
19 avril 2011

Pour saluer l'entrée de Kundera dans la pléiade

C'est Miette qui s'est collée au choix de textes autour de Kundera et du biographique. C'est donc sous forme de jeu que nous célébrons l'entrée de Kundera en pléiade. Voilà ce que Miette nous a préparé :

 

Voilà les textes que je vous propose ; il y a 6 passages de la
 


plume de MK (que vous n'aurez pas de mal à reconnaître).
En plus de l'identification des textes (et des autres auteurs) je
propose aussi (pour ceux qui sont tellement forts qu'ils vont fatalement
s'ennuyer très vite) d'identifier les personnages réels et non
imaginaires dont on parle dans ces exemples de ou réflexions sur le
biographique:
qui sont
— W dans le texte 6
— C dans le texte 8
— B et A dans le texte 9
— N dans le texte 10
— et bien sûr Y dans le texte 11

musica_MK

1) • « A la différence de la postérité qui se trouve réduite aux oeuvres, les contemporains
ont une expérience directe ou quasi directe, par les journaux, par la radio, aujourd’hui
par la télévision, mais aussi par la rumeur et le ragot, de la personne dans sa totalité, de
son corps, de ses manières, de sa tenue vestimentaire, de sa voix, de son accent —
autant de traits dont, sauf exception marquante, les récits ne laissent pas de trace —,
mais aussi de ses fréquentations, de ses prises de position politiques, de ses amours et
de ses amitiés, etc.
Ces sympathies et ces antipathies, qui tiennent à la personne autant qu’à ses oeuvres,
sont un des principes de nombre d’élections intellectuelles, qui restent tout à fait
obscures et souvent vécues comme inexplicables »

2) • « Le désir de violer l’intimité d’autrui est une forme immémoriale de l’agressivité

qui aujourd’hui est institutionnalisée (la bureaucratie avec ses fiches, la presse avec ses
reporters), moralement justifiée (le droit à l’information devenu le premier des droits de
l’homme) et poétisée (par le beau mot : transparence). »

3) • « Bien entendu, il avait désiré le succès, mais succès et gloire sont des choses

différentes. La gloire signifie que nombre de gens vous connaissent sans que vous les
connaissiez ; ils se croient tout permis à votre égard, veulent tout savoir de vous et se
comportent comme si vous leur apparteniez. »

4) • “Inutile de mentionner ma famille : cela ne regarde personne. Dire que je suis né à

Paris, rue [Z]. Expliquer au besoin que je n’ai pas eu à être naturalisé, comme on l’a
prétendu : étant né à Paris, je n’avais eu qu’à opter, à ma majorité, pour la nationalité
française en vertu de l’article 9 du Code civil … Insister toujours sur le fait que j’ai
toujours demandé qu’on ne s’occupe pas de ma vie, qu’on ne s’occupe que de mes
travaux. J’ai invariablement soutenu que la vie d’un philosophe ne jette aucune lumière
sur sa doctrine, et ne regarde pas le public. J’ai horreur de cette publicité, en ce qui me
concerne, et je regretterai à jamais d’avoir publié des travaux, si cette publication devait
m’attirer cette publicité.”

musica_MK2

5) • « Maintenant, on examine rétroactivement toute votre conduite passée et on

cherche un rapport entre votre passé et votre attitude présente. […]
— Toute vie humaine a d’incalculables significations, dit [X]. Selon la manière dont on
le présente, le passé de n’importe lequel d’entre nous peut aussi bien devenir la
biographie d’un chef d’Etat bien-aimé que la biographie d’un criminel. […] Je me
souviens moi-même, quand on discutait de choses sérieuses vous lanciez tout d’un coup
une plaisanterie qui suscitait des doutes. On oubliait ces doutes sur-le-champ, mais
aujourd’hui, quand on va les repêcher dans le passé, ils prennent soudain une
connotation précise. »

6) • [W] « remplissait simplement, sans complaisance ni emphase, mais aussi sans

concessions, sa fonction de professeur et de professeur de philosophie : il en faisait
jamais le philosophe. […] sa voix rocailleuse et […] son accent […] lui donnaient l’air
d’être toujours en colère […] Marqué par la tradition d’une région et d’un milieu où,
comme en témoigne la vibration de la voix ou la rudesse du regard, le corps est toujours
engagé, mis en jeu, dans la parole, il n’était guère disposé à entrer dans les jeux gratuits
de la pensée irresponsable auxquels certains identifient la philosophie

7) • « Rien ne me rendrait plus heureux que d’avoir réussi à faire que certains de mes

lecteurs ou lectrices reconnaissent leurs expériences, leurs difficultés, leurs
interrogations, leurs souffrances, etc., dans les miennes et qu’ils tirent de cette
identification réaliste, qui est tout à fait à l’opposé d’une projection exaltée, des moyens
de faire et de vivre un tout petit peu mieux ce qu’ils vivent et ce qu’ils font. »

8) • « Si étroitement lié qu’il soit à la vie de son auteur, le roman de [C] se trouve, sans

équivoque, de l’autre côté de l’autobiographie […] il ne l’a pas écrit pour parler de sa
vie, mais pour éclairer aux yeux des lecteurs leur vie à eux : “… chaque lecteur est,
quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce
d’instrument d’optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que,
sans ce livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même. La reconnaissance en soi-même, par
le lecteur, de ce que dit le livre est la preuve de la vérité de celui-ci …” »

sempre_con_gatti

9) • « Après l’anathème politique jeté contre lui par [B], [A] se sentait très mal parmi les

intellectuels parisiens. On me raconte que ce qui, en plus, le desservait, c’étaient les
marques de vulgarité qui s’attachaient à sa personne : les origines pauvres, […] gens aux
“façons si familières”, (si “basses”) ; le dilettantisme philosophique de ses essais ; et j’en
passe. Lisant les articles dans lesquels ce lynchage a eu lieu, je m’arrête sur ces mots :
[A] est un “paysan endimanché, […] un homme du peuple qui, les gants à la main, le
chapeau encore sur la tête, entre pour la première fois dans le salon. Les autres invités
se détournent, ils savent à qui ils ont affaire.” La métaphore est éloquente : non
seulement il ne savait pas ce qu’il fallait penser […] mais, plus grave, il se comportait
mal dans les salons (au sens propre ou figuré) ; il était vulgaire.
Il n’y a pas en France de réprobation esthétique plus sévère. »

10) • « Un hebdomadaire parisien […] a publié un dossier sur “Les génies du siècle”. Ils

étaient dix-huit au palmarès […] aucun romancier, aucun poète, aucun dramaturge ;
aucun philosophe ; un seul architecte ; un seul peintre mais deux couturiers ; aucun
compositeur, une cantatrice ; un seul cinéaste […] [Ce palmarès] annonçait un
changement réel : le nouveau rapport de l’Europe à la littérature, à la philosophie, à
l’art. »
« A la même époque, vers la fin du siècle, une vague de monographies nous inonda :
[…] ces monographies débordant de fiel […] rendaient clair le sens du palmarès de
l’hebdomadaire : les génies de la culture, on les a écartés sans aucun regret […] tous
compromis avec le mal du siècle, sa perversité, ses crimes. L’Europe entrait dans
l’époque des procureurs ».
« A l’époque des procureurs, qu’est-ce que cela veut dire, la vie ?
Une longue suite d’événements destinée à dissimuler, sous sa surface trompeuse, la
Faute.
Pour trouver la Faute sous son déguisement, il faut au monographe le talent du détective
et un réseau de mouchards. Et pour ne pas perdre sa haute stature savante, il lui faut
citer les noms des délateurs en bas de pages, car c’est ainsi qu’aux yeux de la science
un ragot se transforme en vérité.
J’ouvre le grand livre de huit cents pages consacré à [N]. L’auteur […] après avoir
démontré en détail la bassesse de l’âme de [N], penchant pour le mensonge, cupidité,
froideur du coeur) arrive enfin à son corps, notamment à sa très mauvaise odeur qu’il
décrit dans tout un paragraphe ; pour confirmer la scientificité de cette découverte
olfactive, il indique, dans la note 43 du chapitre, [de qui] il tient “cette description
minutieuse”, […] laquelle lui en a parlé le xx/xx/xxxx (soit trente ans après la mise au
cercueil du puant).
Ah, [N], que restera-t-il de toi ?
Ta mauvaise odeur, gardée pendant trente ans par ta collaboratrice fidèle, reprise
ensuite par un savant qui, après l’avoir intensifiée avec les méthodes modernes des
laboratoires universitaires, l’a envoyée dans l’avenir de notre millénaire. »

11) • [Y]

« Portrait physique
Il avait un cheveu sur la langue, comme le dit [V] dans son traité […]. Mais on dit aussi
qu’il avait les jambes maigres et les yeux petits, qu’il portait un habit voyant, des bagues
et les cheveux courts. »
« Par ailleurs, [U] aussi se moqua de lui en rédigeant l’épigramme suivante […]
D’H, qui fut eunuque et en même temps esclave d’E
Le mémorial vide fut élevé par [Y] à la tête vide. »
[Complément fourni en note de bas de page : L’auteur d’une autre épigramme suggère
par un jeu de mots d’ « un goût douteux » que [Y] « aurait été contraint par sa
gloutonnerie et les troubles qu’elle lui aurait causés à choisir les “tranchées aux
immondices” ou les égouts pour lieu de son séjour. »]

12) • Tout nom d’auteur est un roman. […] Il attire autour de lui toute une série

d’images ou de représentations, tant personnelles que collectives, qui viennent interférer
avec le texte et en conditionnent la lecture. […]
Par les sonorités de son nom, par les titres de ses livres, par les anecdotes attachées à sa
vie, par ce que nous savons ou pouvons deviner de lui, l’auteur est une machine à
mettre en marche l’imagination et à sécréter, sinon un véritable roman, du moins des
éléments de fiction, plus ou moins développés et coordonnés selon les lecteurs et la
place qu’ils accordent à leur capacité à fantasmer.
Autrement dit, la part d’invention que comporte toute activité de lecture ne s’arrête pas
à l’oeuvre, elle s’étend jusqu’à l’auteur, qui est lui-même pris dans ce mouvement de
création.


P.S : Je vous présente mes excuses pour cette mise en page déplorable mais je ne

suis pas parvenu à faire mieux avec les copier/coller.

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Commentaires
P
Miette,<br /> explication du 21h11<br /> <br /> 167 pour indiquer que les 3 extraits étaient du même auteur même ouvrage.<br /> <br /> pb pour Pierre Bourdieu<br /> <br /> GC pour Georges Canguilhem (Can-(Saint)-Guilhem-le désert pour s'en assurer)<br /> <br /> Je sais, je sais..........
H
Je suis "fier", osons le mot, d'avoir reconnu Derrida en 3 lignes et demi (Je n'ai pas songé que ce pouvait être trois fois lui). Alors, pour cette fierté matinale pas si fréquente, merci. C'est une journée qui commence bien. Je n'ai pas lu l'ouvrage dont vous parlez, je pensais que le 1. pouvait être extrait de la carte postale. (J'aurais d'ailleurs, si j'avais pensé à Derrida pour le 2. et le 3, également opté pour la carte postale)
M
Jackie alias JD alias Derrida les 3 fois, trois extraits de Circonfession "cinquante-neuf périodes et périphrases écrites dans une sorte de marge intérieure, entre le livre de Geoffrey Bennington et un ouvrage en préparation"<br /> (le "G" étant ici l'initiale du co-auteur de ce Jacques Derrida)<br /> méditation autour de l'agonie et de la mort de la mère qui a perdu la mémoire de son nom à lui, qui ne l'appelle plus — et de la relation (saint) Augustin-Monique<br /> Je vous avais dit que c'était un cadeau "ciblé" !<br /> <br /> Pado: 19 avril 21 :11
H
Play it again...<br /> <br /> Je tente Derrida pour le 1. et Duras pour la 2.. Aucune idée concernant la dernière...
H
Arfff merci Miette. Bien sûr, c'est l'heure des regrets... Camus et Sartre, comment ne pas m'en être souvenu, Brecht, j'y ai songé... Canguilhem, je n'étais en effet pas loin et pourtant pas pensé à lui...<br /> Quant à Hrabal, j'aurais pu le reconnaître sur la fresque du mur...<br /> <br /> Anyway, elle était très bien votre série d'énigmes... Et en plus, vous nous en recollez trois ;o)
L'astragale de Cassiopée
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