Enigme du dimanche soir
" Dès lors il ne fallait même pas que je lui fournisse l'occasion d'exiger avec la témérité du désespoir que je lui dise laquelle de ces suppositions était fondée. Là était le côté amusant, excitant. Entendez, cette façon de l'éviter. C'était une adolescence à rebours, sens dessus dessous : le jeune garçon encore puceau et - qui sait? - peut-être même encore plus vierge qu'elle, à la fois envoûté et terrifié par ce qui l'envoûte, usant d'artifices grossiers et timides pour faire naître les rencontres fortuites où il n'oserait jamais la toucher réellement, trop affolé en fait pour oser la toucher; mais pour le seul délice de respirer le même air qu'elle, de baigner dans la même atmosphère que celle où ondoient les membres de celle qu'il aime; pour qui le gant ou le mouchoir qu'elle ignore même avoir perdu, la fleur qu'elle ne savait même pas avoir piétinée, jusqu'au manuel d'arithmétique, de grammaire ou de géographie de Seconde ou de Première portant son nom inscrit de sa main en caractères magiques sur la page de garde, sont plus redoutables et bouleversants que l'épaule nue elle-même ou la chevelure dénouée répandue sur l'oreiller proche du sien. "
Second extrait du même roman :
" Et toi, le vieil homme, tu restes là tandis que montent vers toi, autour de toi, que te prennent à la gorge les ténèbres du printemps ces téèbres peuplées de milliers de couples en quête non de solitude mais seulement d'intimité, de cette intimité qu'ont faite pour eux les ténèbres du printemps, ce climat printanier, ce printemps qu'un poète américain, un grand poète, une femme et donc qui sait bien de quoi elle parle, a nommé le temps des jeunes filles et la bonne fortune des garçons. Qui n'était nullement le premier jour de la création nullement un matin édenique, car le temps des jeunes filles et la bonne fortune des garçons est la somme de tous les jours, la coupe, le vase offerts aux lèvres une fois au temps de la jeunesse et puis jamais plus; offerts aux jeunes une seule et unique fois pour étancher leur soif ou mouiller leurs lèvres ou pour être vidés jusqu'à la lie et cela trop tôt parfois, prématurément. Car le tragique de la vie est qu'il faut qu'elle soit prématurée, non concluante et sans conclusion possible pour être la vie; il faut qu'elle soit déjà avant d'être la vie, qu'elle soit en avance sur elle-même, pour avoir jamais été."