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L'astragale de Cassiopée
28 septembre 2009

Andreï Makine, la foi dans le roman

Je travaille en librairie et suis amené à gérer les "monstrueux" flux d'offices (en quantité et souvent en qualité) des éditeurs puis les "monstrueux" flux de retours (en quantité et souvent en quantité) qui correspondent. Il en a découlé, pour moi, un besoin récurrent de lire les classiques ou, tout au moins, des envies fréquentes de me plonger dans les nouveaux romans avec un léger décalage par rapport à la date de sortie initiale (Goethe ne le conseillait-il déjà pas pour la lecture de la presse?).

Andre__Makine_1

Si je vous raconte cela, c'est qu'hier, j'ai lu le dernier Makine "La vie d'un homme inconnu" , paru en janvier 2009, et ce fut un grand bonheur de lecture. J'ai toujours aimé lire Makine depuis ce très beau "Au temps du fleuve amour", suivi de "Le testament français", "Le crime d'Olga Arbélina" qui est sûrement son roman le plus complexe, puis "Requiem pour l'est" et "Musique d'une vie" qui m'avaient  toutefois un peu moins emballé et décidé à ne plus lire ses créations postérieures. Sauf que là, "La vie d'un homme inconnu" est un excellent livre dans lequel ressort la foi réitérée de Makine dans la fonction du roman.

makine

Un homme, Choutov, ancien dissident et désormais écrivain à Paris, vit , en 2008, une histoire d'amour avec une jeune fille beaucoup plus jeune que lui. Il n'est pas très à l'aise dans cet univers où la littérature, la poèsie sont des preuuuduits comme les autres. Son histoire de coeur capote et, imprégné d'une nouvelle de Tchekhov, il décide de renouer avec son amour de jeunesse, Iana, qu'il n'a pas revue depuis trente ans. Elle est restée à Saint-Petersbourg où elle exerce une activité très rentable dans l'hôtellerie. On sent venir le fiasco (qui ne manquera effectivement pas de se produire) mais Makine exploite cette situation pour nous envoyer vers deux directions.

La première est une description de cette société Russe qui refuse de vivre dans le passé,

"Exorcisme collectif, pense-t-il en allant à son rendez-vous avec Iana. En trois jours de cette comique révolution de Mai, annuler des décennies de terreur, laver le sang des révolutions réelles, s'assourdir du bruit des pétards pour oublier celui des bombes. Lâcher dans les rues ces joyeux bourreaux, pour effacer les ombres qui, dans des nuits pas si lointaines que ça, frappaient aux portes, traînaient dehors les hommes ensommeillés, les jetaient dans des voitures noires."

de cette société Russe composée d'individualités qui veulent pouvoir gagner de l'argent, comme Vlad, le fils de Iana, directeur d'un collection qui s'apparente à une de celles d'Harlequin ici.

" "- Tu sais, Vlad, autrefois, enfin, quand j'étais jeune, on éditait pas mal de poètes. Les tirages n'étaient pas énormes mais il y avait... comment dire?... oui, une vraie ferveur chez nous qui lisions ces livres imprimés sur un papier souvent très médiocre. La poésie, c'était notre Bible à nous...

- Ouais, je vois de quel genre de bouquins vous parlez, les vieux appellent cela, avec un soupir, "la grande littérature". Ecoutez, je vais vous dire ce que j'en pense, moi. J'ai rencontré un jour une fille, une Américaine qui a le même job que moi. Et elle s'est mise à me bourrer le crâne : oh, bien sûr, nous éditons de la merde mais c'est pour pouvoir publier de la Vraie Littérature! Qu'est-ce qu'ils sont faux culs, ces puritains! Alors j'ai voulu me payer sa tête, j'ai cité Marx : le seul critère de la vérité est le résultat pratique. Et dans l'édition, le résultat c'est le nombre de ventes, n'est-ce pas? Si des livres de merde se vendent, c'est qu'on en a besoin. il fallait voir la gueule qu'elle m'a faite!"

Il rit aux éclats, puis se tournant vers le téléviseur, annonce : "Mais surtout, en publiant vos poètes aux petits tirages, je ne pourrais jamais m'acheter cette bagnole..."

Toute cette partie se déroule dans l'espace du roman, celui de la suspension du jugement de l'écrivain.

Bataille_Leningrad

La seconde direction est celle qui constitue le "coeur" du livre. Dans l'immense appartement de Iana, ancien batîment communautaire, réside encore, pour une nuit, avant de devoir rejoindre l'hospice, un très vieil homme, Volski. Il avait une vingtaine d'années lors de la bataille de Leningrad. Avec lui, et son histoire d'amour avec Mila, on va traverser ce demi-siècle Russe... Stalingrad, Koursk, le goulag et malgré tout, une vie, une vie sacrément pleine, forte, celle d'un homme inconnu... Une réussite.


Pour terminer, un dernier extrait, pour ce que le roman, seul, peut faire passer. Volski et Mila se retrouvent, au jour des derniers coups d'éclat de la défense de Leningrad, sur le front, en train de chanter en boucle l'Internationale :

"Cet assaut était un acte de bravoure désespéré, un baroud d'honneur plus qu'une décision de stratèges. Une éternité après la fin de la guerre, Volski retrouverait la mention de cette journée de décembre dans deux livres d'histoire. Le premier parlerait de "la participation des artistes léningradois à la défense de la ville" sans citer qui que ce soit. Le second, bien plus récent, évoquerait "un simulacre de contre-offensive conçu par des responsables qui cherchaient à se dédouaner aux yeux de Staline". L'un comme l'autre ne rendraient pas compte ni de ce soldat qui venait de tracer une ligne de sang sur la neige, ni du calme de la maison préservée sous son arbre, ni surtout de cette boucle de cheveux sombres qui échappait du châle de Mila et qu'en chantant Volski atteignait par son souffle."

kolyma

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Commentaires
K
TAK-Da-Igen-νε---Oui...On s'y était mis à plusieurs Pokémons compris . Avant de redescendre à la mine, je vais jeter un coup d'œil chez les libres . Bien des Karabistouilles à vous .
H
May be Soljenitsyne?
K
suis en route pour le voyage...Bien à vous
K
Je n'ai pas trouvé du tout : je suis partie sur un autre écrivain: les indices sont donc dans le CHArabia qui suit : je cherchais chez les russes, en me disant "si je me perds en chemin, Harmonia me retrouvera-on m'a dit qu'il lisait dans les pensées:o)<br /> Il faut dire que je n'avais plus le livre en tête mais l'histoire de milliers de papiers-cachés-publiés sous forme de samizdat(s) -découverts à la suite d'une bien triste histoire qui fît s'exiler l'auteur.<br /> Qui est donc l'écrivain que je suivais à l'aveuglette. A vous?Pour J.M.Leclézio, , j'irai voir de plus près .
H
Pour le court extrait, il s'agissait donc de Le Clézio dans "Le livre des fuites" 1969...<br /> <br /> Je l'ai pas mal lu ces derniers temps et sa période entre "Le procès verbal" et le début des années 70, je la trouve vraiment très bonne... Suis surpris...<br /> <br /> Comment avez-vous trouvé si vite Kara?
L'astragale de Cassiopée
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