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L'astragale de Cassiopée
24 novembre 2013

LA VIE CHÈREMENT. UNE VISITE RENDUE À L’ENFANCE Dear Life A childhood visitation Alice Munro Prix Nobel de littérature 2013

Alice Munro Prix Nobel de littérature 2013

Voici Dear Life, a childhood visitation, une des nouvelles de Mme Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013, que j’ai trouvée sur le site du New Yorker. Traduire la langue faussement simple d’Alice Munro, dont j’ignorais tout avant que le Nobel ne lui soit décerné, s’est révélé délicat. L’indulgence du lecteur est donc demandée. Si je traduis d’autres nouvelles d’Alice Munro, je reverrai cette version provisoire, une fois aguerri. Assurer la discordance des temps du récit (présent historique, passé simple ou composé, imparfait ou plus-que-parfait…) est en effet redoutable face à des souvenirs d’enfance écrits au passé recomposé.  J-o.

 

 

LA VIE CHÈREMENT. UNE VISITE RENDUE À L’ENFANCE

(Dear Life A childhood visitation)

 

J’ai vécu dans mon enfance au bout d'une longue route, ou de ce que je croyais être une longue route. Derrière moi, quand je revenais de l'école primaire, puis du lycée, il y avait la vraie ville avec son activité, ses trottoirs et ses lampadaires pour y voir une fois la nuit tombée. Ce qui marquait la fin de la ville, c’était les deux ponts au-dessus de la rivière Maitland : un pont étroit en fer, où les voitures avaient parfois des problèmes pour savoir laquelle devait s’arrêter pour laisser passer l'autre, et une passerelle en bois, où parfois une planche manquait, de sorte qu’on pouvait voir tout en bas briller l'eau agitée. J'aimais ça, mais quelqu'un venait toujours à la fin remplacer la planche.

Puis il y avait un léger creux, un couple de maisons branlantes qui étaient inondées à chaque printemps, mais où des gens – des gens différents – venaient toujours habiter, de toute façon. Et puis un autre pont, sur le bief, qui était étroit, mais assez profond pour s’y noyer. Après cela, la route se divisait en deux, une qui montait vers une colline au sud et retraversait la rivière pour devenir une véritable autoroute, et l'autre qui serpentait autour des anciens champs avant de tourner à l'ouest.

Cette route vers l'ouest c’était la mienne.

Il y avait aussi une route vers le nord, dotée d’un trottoir court mais réel, et de plusieurs maisons rapprochées, comme si elles étaient en ville. L'une d'elles avait un panneau à la fenêtre qui disait "Thé Salada", preuve que c’avait été une épicerie autrefois. Puis il y avait une école, où j'avais été pendant deux ans de ma vie et que je ne voulais jamais revoir. Après toutes ces années, ma mère avait fait acheter un vieux hangar en ville à mon père, afin qu'il paie des impôts communaux et que je puisse aller à l'école communale. En fait, elle n'aurait pas eu besoin de le faire, parce que, l'année, le mois même, où j'ai commencé l'école à la ville la guerre a été déclarée à l'Allemagne et, comme par magie, la vieille école, où les tyrans m’avaient pris mon déjeuner et m’avaient menacée de me tabasser, et là où personne n’avait paru apprendre quoi que ce soit au milieu du brouhaha, a été coupée en deux, avec une seule salle et un seul professeur, qui ne verrouillait probablement pas les portes à la récréation. Il est apparu que les mêmes garçons qui m'avaient toujours demandé d’une façon récurrente et menaçante si je voulais baiser, étaient tout aussi désireux de trouver un emploi, que leurs grands frères de partir à l'armée. Je ne sais pas si les toilettes de l'école ont été améliorées depuis, ou non, mais c’avait été le pire. Ce n'était pas qu’à la maison nous ne devions pas aller dans une dépendance, mais c’était propre et il y avait même un sol en linoléum. Dans cette école, que ce soit par mépris ou pour une autre raison, personne ne semblait se soucier de viser le trou. À bien des égards, ça n'était pas facile non plus pour moi en ville, parce que tous les autres étaient tous ensemble depuis la première année , et qu’il y avait beaucoup de choses que je n'avais pas encore apprises, mais c’était un grand réconfort de voir les sièges non salis de ma nouvelle école et d'y entendre le noble son citadin des chasses d'eau.

Le temps que j’ai été à l’école primaire, je me suis fait une amie. Une fille que j’appellerai Diane est arrivée au milieu de ma deuxième année. Elle avait à peu près mon âge, et elle vivait dans une de ces maisons avec un trottoir. Elle m'a demandé un jour si je savais faire le Highland Fling, et quand j'ai dit non, elle a proposé de m'apprendre. Avec cette idée en tête, nous sommes allées chez elle après l'école. Sa mère était morte et elle en était venue à vivre avec ses grands-parents. Pour danser le Highland Fling, m'a-t-elle dit, tu as besoin chaussures à claquettes ; elle en avait et, bien sûr, je n'en avais pas, mais nos pieds étaient presque de la même taille, de sorte que nous pouvions les échanger alors qu'elle essayait de m'apprendre. À la fin, nous avons eu soif, et sa grand-mère nous a donné un verre d'eau, mais c'était une eau horrible qui venait d'un puits creusé, tout comme à l'école. J'ai expliqué que nous obtenions de l'eau de qualité supérieure à partir d'un puits foré à la maison, et la grand-mère a dit, sans se vexer le moins du monde, qu'elle aurait bien voulu avoir ça, aussi.

Mais alors, trop tôt, j’ai vu ma mère à l'extérieur ; elle était allée à l'école et elle avait découvert mes allées et venues. Elle a klaxonné pour m’appeler et n'a même pas répondu au signe amical de la grand-mère. Ma mère ne conduisait pas souvent , et quand elle le faisait il y avait là quelque chose de solennel et de nerveux. Sur le chemin du retour, elle m'a dit que je ne devais plus jamais entrer à nouveau dans cette maison. (Cela s'est révélé ne pas poser de difficultés, parce que Diane a cessé de venir à l'école quelques jours plus tard, elle avait été envoyée quelque part ailleurs). J'ai dit à ma mère que la mère de Diane était morte, et elle a dit que oui, elle le savait. Je lui ai parlé du Highland Fling, et elle m'a dit que je pourrais l’apprendre correctement un jour, mais pas dans cette maison.

Je n'ai pas compris alors, que la mère était une prostituée et qu’elle était morte d’une maladie qui semble frapper les prostituées. Elle avait voulu être enterrée chez elle, et le ministre du culte de notre propre église avait assuré le service religieux. Il y avait controverse sur ce qu'il avait dit. Certaines personnes pensaient qu'il aurait dû ne pas en parler, mais ma mère croyait qu'il avait fait le bon choix .

Le salaire du péché, c'est la mort.

Elle m'a dit ça longtemps après, ou ce qui m’a semblé longtemps plus tard, quand j'en étais au stade de haïr beaucoup des choses qu'elle disait, surtout quand elle prenait cette voix d’une conviction frémissante et même passionnée, avec un trémolo qui semblait présent de plus en plus régulièrement, que ce soit délibéré ou non.

Je rencontrais la grand-mère de temps en temps. Elle avait toujours un petit sourire ridé pour moi. Elle me disait que c'était merveilleux que je continue d’aller à l'école, et elle me donnait des nouvelles de Diane, qui a continué elle aussi pendant pas mal de temps, où qu’elle soit, mais pas si longtemps que moi. Selon sa grand-mère, elle avait ensuite trouvé du travail dans un restaurant de Toronto, où elle portait un costume à paillettes. J'étais assez grande à ce moment-là, et assez vache, pour supposer que c'était un endroit où on ôtait aussi le costume à paillettes.

La grand-mère de Diane n'était pas la seule à penser que je passais beaucoup de temps à l'école. Sur mon chemin, il y avait un certain nombre de maisons qui étaient plus éloignées qu'elles ne l’auraient été en ville, mais qui n'avaient toujours pas trop l’allure de propriétés. L'une d'elles, sur une petite colline, appartenaient à Waitey Streets, un vétéran manchot de la Première Guerre mondiale. Il élevait des moutons et il avait une femme, que je n'ai vue qu'une seule fois, un jour qu’elle remplissait le seau d’eau potable à la pompe. Waitey aimait à plaisanter sur le nombre d'années que j'avais passées à l'école et quel dommage que je n'aie jamais pu passer mes examens et en avoir fini. Et je plaisantais en retour, prétendant que c'était vrai. Je n'étais pas sûre de ce qu'il croyait vraiment. C'est comme ça que vous connaissiez les gens sur le chemin, et qu'ils vous connaissaient. Vous disiez bonjour, et ils disaient bonjour et quelque chose à propos de la météo, et s'ils avaient une voiture et que vous étiez à pied ils vous emmenaient. Ce n'était pas comme à la campagne, où les gens connaissaient généralement les maisons les uns des autres de l’intérieur et où tout le monde gagnait plus ou moins sa vie de la même façon.

Je ne prenais pas plus de temps pour terminer mes études secondaires que quelqu'un qui passerait la totalité des cinq années. Mais peu d'étudiants le faisaient. Personne ne s'attendait à l’époque, que du nombre de gens entrant en neuvième année il en sorte le même nombre, tous bourrés de connaissance, à la fin de la treizième année. Les gens avaient des emplois à temps partiel et peu à peu ceux-ci se transformaient en emplois à temps plein. Les filles se mariaient et puis elles avaient des bébés, dans cet ordre ou dans l'autre. Comme il ne restait qu’environ un quart de la classe d'origine en treizième année, il y avait un sentiment d’érudition, de réalisation sérieuse, ou peut-être juste un type particulier d’irréalisme serein qui demeurerait, quoi qui puisse vous arriver plus tard.

Je me sentais sur une autre planète que la plupart des gens que j'avais connus en neuvième année, sans parler de ceux de l’école primaire.

Dans un coin de la salle à manger il y avait quelque chose qui me surprenait toujours un peu quand je sortais l'Electrolux pour nettoyer le plancher. Je savais ce que c'était — un sac de golf à la dernière mode, avec les clubs de golf et des balles à l'intérieur. Je me demandais juste ce que ça faisait dans la maison. Je ne savais presque rien de ce jeu, mais j'avais mon idée sur le type de personnes qui y jouaient. Ce n'étaient pas des gens qui portaient des combinaisons, comme mon père, bien qu’il mette un pantalon de travail plus beau pour aller en ville. Je pouvais, dans une certaine mesure, imaginer ma mère entrer dans ce genre de vêtements sportifs qu’on portait, une écharpe nouée autour de ses beaux cheveux dans le vent. Mais pas en train d'essayer de frapper la balle pour l’envoyer dans un trou. La frivolité d'un tel acte la dépassait sûrement.

Elle a dû penser autrement à un moment donné. Elle a dû penser qu'elle et mon père allaient se transformer en un autre type de gens, de ceux qui jouissaient de certains loisirs. Golf. Dîners. Peut-être qu'elle s'était convaincue que certaines limites n’existaient pas. Elle avait réussi à se sortir elle-même d'une ferme sur le plateau dénudé au Canada, une ferme bien plus désespérante que celle dont venait mon père et elle était devenue institutrice, une institutrice qui parlait de telle manière que ses propres parents n'étaient pas à l’aise avec elle. Elle avait peut-être pensé qu'après tous ces efforts elle serait bien accueillie partout.

Mon père avait d'autres idées. Il ne pensait pas que les gens de la ville ou que quiconque soient en fait meilleurs que lui. Mais il croyait qu'ils pensaient l’être. Et il a préféré ne jamais leur donner la chance de le montrer.

Il semble que, pour le golf, c'était mon père qui avait gagné.

Ce n'était pas comme s'il s’était contenté de vivre comme ses parents s'attendaient à ce qu’il vive, en reprenant leur bonne ferme. Quand lui et ma mère ont quitté leurs communautés et qu’ils ont acheté cette parcelle de terrain au bout d'une route près d'une ville qu'ils ne connaissaient pas, leur idée était presque certainement de devenir prospères en élevant des renards argentés et, plus tard, des visons. Dans sa jeunesse, mon père s’était trouvé lui-même plus heureux de suivre une ligne de pièges que d'aider à la ferme ou d'aller à l'école secondaire — et plus riche, aussi, qu'il ne l'avait jamais été auparavant — et cette idée lui était venue et il l’avait adoptée, pensait-il, pour la vie. Il y a mis tout l'argent qu'il avait gagné, et ma mère a contribué avec ses économies de professeur. Il a construit toutes les enclos et tous les abris dans lesquels les animaux vivraient, et mis en place les parois grillagées qui les tiendraient en captivité. La parcelle de terrain, grande de cinq acres[1], c'était la bonne taille, avec une prairie à faucher et assez de pâture pour notre propre vache et tous les vieux chevaux en attente d'être donnés à manger aux renards. Le pâturage descendait droit vers la rivière et avait douze ormes qui l’ombrageaient.

Il y avait régulièrement pas mal de tueries, quand je viens à y penser. Les chevaux devaient être transformés en viande, et les animaux à fourrure abattus chaque automne pour ne laisser que les reproducteurs. Mais j’étais habituée à ça et je pouvais facilement l’ignorer, en me construisant pour moi-même une histoire purifiée au point de ressembler à quelque chose sortant des livres que j'aimais, comme « Anne of Green Gables » ou « Pat of Silver Bush ».[2] J'avais l’aide des ormes, qui s’étendaient sur le pâturage et sur la rivière qui brillait, et la surprise d'une source qui sortait de la rive au-dessus de la prairie, fournissant l'eau pour les chevaux condamnés, la vache et aussi pour moi, grâce à une tasse en étain que j'avais trouvée. Il y avait toujours du fumier frais autour, mais je l'ignorais, comme Anne le faisait sûrement à Green Gables.

En ce temps-là, je devais parfois aider mon père, parce que mon frère n'était pas encore assez grand. Je pompais l'eau douce, et je montais et je descendais des enclos, m’occupant de nettoyer les abreuvoirs des animaux et de les remplir. J'aimais cela. L'importance du travail, la solitude fréquente c’était juste ce que j'aimais. Plus tard, j’ai dû rester à la maison pour aider ma mère, et j'étais pleine de ressentiment et de remarques querelleuses. On appelait ça : « elle répond ». J’avais blessé ses sentiments, disait-elle, et du coup elle allait à la grange en dire de belles sur moi, à mon père. Alors lui devait interrompre son travail pour me donner une raclée avec sa ceinture. Ensuite, j’allais pleurer dans mon lit et faire des plans pour m'enfuir. Mais cette phase aussi, passa, et je devins gérable, et même sympa, connue pour raconter drôlement les choses que j'avais entendu dire en ville, ou ce qui s'était passé à l'école.

Notre maison était de bonne taille. Nous ne savions pas exactement quand elle avait été construite , mais ce devait être il y a moins d'un siècle, parce que 1858 était l'année où le premier colon s'était installé à un endroit appelé Bodmin, –qui avait maintenant disparu – qu’il avait lui-même construit un radeau, et descendu la rivière pour couper les arbres du terrain qui deviendrait plus tard un village entier. Ce village initial eut bientôt une scierie, un hôtel, trois églises et une école, la même que celle qui avait été ma première école, que j’avais tant redoutée. Ensuite, on construisit un pont sur la rivière, et les gens commencèrent à s’apercevoir qu’il serait beaucoup plus pratique de vivre de l'autre côté, sur un terrain plus élevé, et la colonie initiale diminua jusqu’à n’être que ce demi-village mal famé, et enfin juste bizarre, dont j'ai parlé.

Notre maison n'aurait pas été l'une des premières maisons de cette colonie initiale, car elle était en briques, alors qu’elles étaient toutes en bois, mais elle avait probablement été bâtie peu de temps après. Elle tournait le dos au village, face à l'ouest à travers des champs descendant en pente douce jusqu’à la courbe cachée où la rivière faisait ce qu'on appelait le Big Bend. Au-delà de la rivière il y avait un bosquet de conifères sombres, probablement des cèdres[3] mais c’était trop loin pour le dire. Et même plus loin, sur une autre colline, il y avait une autre maison, toute petite à cette distance, en face de la nôtre, que nous n'aurons jamais visitée ou connue et qui était comme la maison d'un nain dans un conte. Mais nous savions le nom de l'homme qui vivait là-bas, ou qui y avait vécu à un moment donné, car il était peut-être bien mort maintenant. Grain Roly, c’était son nom et il n'aura aucune part dans ce que j'écris maintenant, malgré son nom de troll, car ceci n'est pas une histoire, c’est la vie.

Ma mère avait fait deux fausses couches avant ma naissance, alors quand je suis née, en 1931, ça a dû être une certaine satisfaction. Et cela en dépit des temps, qui devenaient de moins en moins prometteurs. La vérité, c'est que mon père s’était engagé dans son entreprise de fourrure juste un peu trop tard. Il aurait probablement eu plus de chances de succès plus tôt, au milieu des années 20, quand les fourrures étaient à nouveau à la mode et que les gens avaient de l'argent. Mais il n'avait pas démarré à ce moment-là. Pourtant, nous avons survécu, jusqu'à la guerre et pendant, et même à la fin de la guerre il doit y avoir eu un sursaut encourageant, parce que c'est l'été où mon père a remis la maison en état, en ajoutant une couche de peinture brune sur la traditionnelle brique rouge. Il y avait un problème avec la façon dont les briques et des planches s’ajustaient, elles n’isolaient pas du froid comme elles étaient censées le faire. On a pensé que la couche de peinture aiderait, mais je ne me souviens pas qu'elle l’ait jamais fait. En outre, nous avons eu une salle de bains, et le monte-charge inutilisé s’est transformé en placards de cuisine et la grande salle à manger avec l'escalier ouvert en une pièce classique avec un escalier clos. Ce changement m'a réconforté en quelque sorte de façon imprévue, parce que les raclées de mon père avaient lieu dans la salle à manger, et que tout cela me faisait mourir de douleur et de honte. Et maintenant, c'était comme si tout le dispositif avait disparu. C’était même une chose difficile à imaginer. J'étais à l'école secondaire et je réussissais mieux chaque année, une fois les activités comme la couture et l'écriture avec une plume droite abandonnées, les sciences sociales devenues l'histoire et qu’enfin on a pu apprendre le latin.

Après l'optimisme de cette saison de redécoration, cependant, les affaires se sont taries à nouveau, et cette fois pour ne jamais reprendre. Mon père a liquidé tous les renards, puis les visons, et il en a obtenu le peu d'argent qu'il a pu, un scandale, puis il a travaillé le jour en mettant à bas les hangars où cette entreprise était née et où elle était morte, avant d'aller à la fonderie prendre la relève de cinq heures, pour revenir aux alentours de minuit.

A présent, c’était ma dernière année d'études dans notre ville. Dès que je rentrais de l'école, j’allais travailler à préparer le déjeuner de mon père. Je faisais frire deux tranches de talon de jambon en y mettant beaucoup de ketchup. Je remplissais son thermos de thé noir fort. Je mettais un muffin avec de la confiture, ou peut-être un gros morceau de tarte maison. Parfois, le samedi, je faisais une tarte, et parfois c’était ma mère, bien que sa façon de cuisiner soit en train de devenir peu fiable.

Quelque chose était survenu qui était encore plus inattendu et qui deviendrait plus dévastateur que la perte de revenu, bien que nous ne le sachions pas encore. C'était l'apparition précoce de la maladie de Parkinson, qui s’est manifestée lorsque ma mère avait atteint la quarantaine.

Au début, ce n'a pas été trop mal. Ses yeux ne tournaient que rarement dans sa tête, d'une manière erratique, et le coulis d'une surproduction de salive était à peine visible autour de ses lèvres. Elle pouvait s'habiller le matin avec un peu d'aide, et elle réussissait à l’occasion à faire des corvées à la maison. Elle a tenu, grâce à une certaine force en elle, étonnamment longtemps.

On pourrait penser que tout cela est de trop. L'entreprise qui a disparu, la santé de ma mère qui disparaît, ça ne marcherait pas dans un roman. Mais la chose étrange est que je ne me souviens pas de cette période comme malheureuse. L’ambiance n’était pas particulièrement désespérée à la maison. Peut-être ne comprenait-on pas alors que l’état de ma mère ne s’améliorerait pas, mais qu’il empirerait. Quant à mon père, il avait toute sa force et il allait la conserver longtemps encore. Il aimait bien les hommes avec qui il travaillait à la fonderie ; c’étaient, pour la plupart, des hommes comme lui, qui avaient eu un genre de crise ou un fardeau supplémentaire qui s’était rajouté à leur vie. Il aimait le travail difficile qu'il faisait en plus d'être le gardien de début de nuit. Ce travail consistait à couler du métal fondu dans des moules. La fonderie fabriquait des poêles à l'ancienne qui étaient vendues partout dans le monde. C'était dangereux, mais c'était à vous de faire attention, comme disait mon père. Et il avait un salaire décent, une nouveauté pour lui.

Je crois qu'il était heureux de sortir, même pour faire ce travail difficile et risqué. De sortir de la maison et de se retrouver en compagnie d’autres hommes qui avaient des problèmes, mais qui tiraient le meilleur parti des choses telles qu’elles étaient.

Une fois qu'il était parti, je commençais à souper. Je pouvais faire des choses que je trouvais exotiques, comme des spaghettis ou des omelettes, tant que ça ne coûtait pas cher. Et la vaisselle faite, –ma sœur devait l’essuyer, et mon frère devait être houspillé pour aller jeter l'eau de vaisselle sur le terrain obscur –, je m’asseyais avec mes pieds dans le four, qui avait perdu sa porte, et je lisais les grands romans que j'avais empruntés à la bibliothèque municipale : « Gens indépendants[4] », qui parlait de la vie en Islande, plus dure que le nôtre, et de loin, mais d’une grandeur désespérée, ou « La recherche du temps perdu », qui ne traitait de rien que je puisse comprendre du tout, mais que je n’abandonnerais pas, justement à cause de cela, ou « la Montagne magique », à propos de la tuberculose et d’une grande dispute entre ce qui d’un côté semblait être une idée géniale et progressive de la vie et de l'autre, un désespoir sombre mais quand même palpitant. Je ne faisais jamais de devoirs à la maison dans ce temps précieux, mais quand venaient les examens, je me collais au boulot[5] et j’y restais presque toute la nuit, me farcissant la tête de tout ce que je devais savoir. J'avais une prodigieuse mémoire à court terme, et qui marchait très bien pour ce qu’on me demandait. Contre toute attente, je me croyais une personne chanceuse. Parfois, ma mère et moi nous parlions, surtout de ses jeunes années. Je protestais maintenant rarement contre sa façon de voir les choses. Même sa voix chevrotante, qui apparaissait surtout quand elle disait combien le sexe était sacré car il nous apportait des petits enfants, c'était quelque chose que je pouvais maintenant supporter ou laisser passer au-dessus.

Plusieurs fois, elle m'a raconté une histoire qui avait à voir avec la maison qui appartenait maintenant à l'ancien combattant nommé Waitey Streets, l'homme qui s'émerveillait de la longueur du temps que je devais passer à l'école. Dans l'histoire il ne s'agissait pas de lui mais de quelqu'un qui avait vécu dans cette maison bien avant lui, une vieille folle nommé Mme Netterfield. Mme Netterfield se faisait livrer ses courses, comme nous tous, après les avoir commandées par téléphone. Un jour, m'a dit ma mère, l'épicier avait oublié de mettre le beurre, ou bien elle avait oublié de le commander, et quand le livreur a ouvert l'arrière du camion elle a remarqué l'erreur et s'est mise en colère. Mais elle était préparée, en un sens. Elle avait une hache de guerre avec elle et elle l'avait brandie comme pour punir le garçon de l'épicerie - bien que ce ne fût évidemment pas de sa faute - et il avait couru vers le siège du conducteur et il était parti sans même fermer les portes arrière.

Certaines choses dans cette histoire étaient bizarres, mais je n'y avais pas pensé à l'époque, pas plus que ma mère. Comment la vieille femme pouvait-elle aussitôt être sûre que le beurre manquait ? Et pourquoi aurait-elle été équipée d'une hache avant même de savoir qu'il y avait une erreur à trouver ? L’emportait-elle avec elle, en cas de provocations en général ? Ma mère me disait qu’on racontait que Mme Netterfield avait été une dame quand elle était plus jeune.

Il y avait une autre histoire au sujet de Mme Netterfield qui avait davantage d'intérêt parce que je figurais dedans et qu’elle avait eu lieu dans notre maison.

C'était un beau jour d'automne. On m’avait mise à dormir dans mon landau sur le petit bout de la nouvelle pelouse. Mon père était parti pour l'après-midi, –peut-être pour donner un coup de main à son père à l'ancienne ferme, comme il le faisait parfois–, et ma mère lavait des vêtements dans l'évier. Pour un premier bébé il y avait beaucoup de tricots, de rubans, de choses à laver soigneusement à la main dans l'eau douce. Il n'y avait pas de fenêtre devant l'évier où ma mère lavait et essorait le linge. Pour jeter un regard sur l’extérieur, il fallait traverser la pièce jusqu’à la fenêtre au nord. Elle donnait sur l'allée qui menait de la boîte aux lettres à la maison.

Pourquoi ma mère a-t-elle décidé de quitter son lavage et son essorage pour regarder l'allée ? Elle ne s'attendait à aucune visite. Mon père n'était pas en retard. Peut-être qu'elle lui avait demandé de prendre quelque chose à l'épicerie, quelque chose dont elle avait besoin pour tout ce qu'elle faisait pour le souper, et elle se demandait s'il serait à la maison à temps pour qu’elle le fasse. Elle était une cuisinière assez raffinée à cette époque, davantage, en fait, que sa belle-mère, son beau-frère et les autres femmes de la famille de mon père ne le pensaient nécessaire. Quand on regardait le coût, disaient-ils.

Ou peut-être ça n’avait rien à voir avec le souper, mais ça impliquait un modèle qu'il ramassait, ou un morceau de matériau pour une nouvelle robe qu'elle voulait se faire elle-même.

Elle n'a jamais dit par la suite pourquoi elle l'avait fait.

Les doutes au sujet de la cuisine de ma mère n'étaient pas le seul problème avec la famille de mon père. Il doit y avoir eu débat au sujet de ses vêtements aussi. Je pense à l'habitude qu’elle avait de porter une robe d'après-midi, même lorsqu’elle lavait seulement quelque chose dans l'évier. Elle faisait une sieste d’une demi-heure après le repas de midi et elle changeait toujours de robe quand elle se levait. Quand j'ai regardé les photos plus tard, j’ai pensé que la mode de l'époque n'avait pas été seyante, pour elle, ni pour personne.

Les robes étaient informes, et les cheveux courts ne convenaient pas au visage plein et doux de ma mère. Mais les femmes de la famille de mon père, qui vivaient assez près pour garder un œil sur elle, n’y auraient vu aucune objection. Sa faute était qu'elle ne ressemblait pas à ce qu'elle était. Elle n'avait pas l'air d’avoir été élevée dans une ferme, ou d’avoir l'intention d’y rester.

Elle n'avait pas vu la voiture de mon père qui descendait l’allée. Au lieu de cela, elle avait vu la vieille femme, Mme Netterfield. Mme Netterfield avait dû marcher depuis sa propre maison. La même maison où, beaucoup plus tard, je verrais l'homme manchot qui me taquinerait, et juste une fois sa femme aux cheveux courts, à la pompe. La maison d'où, bien avant que je sache rien d'elle, la femme folle avait poursuivi le livreur avec une hache, en raison d’un morceau de beurre.

Ma mère avait dû voir Mme Netterfield au moins à quelques reprises avant qu'elle ne remarque qu’elle marchait sur notre chemin. Peut-être ne s’étaient-elles jamais parlé. Il est possible, cependant, qu’elles l’aient fait. Ma mère aurait pu s’en faire un devoir, même si mon père lui avait dit que ce n'était pas nécessaire. Cela aurait même pu créer des problèmes, aurait-il probablement dit. Ma mère avait de la sympathie pour les gens bizarres, tant qu'ils étaient corrects. Mais maintenant, elle ne pensait ni à la convivialité ni à la décence. Maintenant, elle courait à la porte de la cuisine pour me prendre et me sortir de mon landau. Elle a laissé le chariot et la couverture où ils étaient et elle a couru à la maison, verrouillant la porte de la cuisine derrière elle. La porte d'entrée, elle n'avait pas besoin de s'en inquiéter, elle était toujours verrouillée.

Mais il y avait un problème, n'est-ce pas, avec la porte de la cuisine ? Pour autant que je sache, elle n'avait jamais eu de bonne serrure. Il y avait juste l’habitude, la nuit, de pousser l'une des chaises de cuisine contre cette porte, et d'incliner la chaise sous la poignée de porte, de telle sorte que quiconque la pousseraitpour entrer ferait un fracas épouvantable. Une façon assez désordonnée d’assurer la sécurité, il me semble, et pas conforme, non plus, avec le fait que mon père avait un revolver dans la maison, dans un tiroir de bureau. En outre, comme c’était naturel dans la maison d'un homme qui devait régulièrement tuer des chevaux, il y avait un fusil et une paire de fusils de chasse. Pas chargés, bien sûr.

Ma mère a-t-elle pensé à une arme, une fois qu’elle a réussi à coincer la poignée de porte en place? Avait-elle jamais pris, ou chargé un fusil, de sa vie?

Le fait a-t-il traversé son esprit que la vieille femme pouvait bien effectuer une visite de voisinage ? Je ne le pense pas. Il y aurait eu une différence dans la démarche, une détermination de la femme qui descend l'allée pour s’approcher.

Il est possible que ma mère ait prié, mais elle n'en a pas parlé .

Elle savait qu'on avait fouillé dans les couvertures dans le landau, parce que, juste avant de baisser les stores de la porte de la cuisine, elle avait vu une de ces couvertures jetée à terre. Après cela, elle n'a pas cherché à baisser les stores des autres fenêtres, mais elle est restée, avec moi dans ses bras, là où elle ne pouvait pas être vue.

On n’a pas frappé poliment à la porte. On n’a pas poussé la chaise non plus. Pas de claquement ni de cliquetis . Ma mère était cachée près du monte-charge, espérant contre tout espoir que le silence signifiait que la femme avait changé d'avis et était rentrée chez elle.

Pas du tout. Elle se promenait autour de la maison, en prenant son temps, et s'arrêtant à chaque fenêtre en bas. Les volets, bien sûr, n'étaient pas encore fermés. Elle  pouvait appuyer son visage sur chaque vitre . Les stores étaient relevés aussi haut que possible, du fait qu’il faisait beau. La femme n'était pas très grande, mais elle n'avait pas à se hisser pour voir à l'intérieur.

Comment ma mère avait-elle su cela? Ce n'était pas comme si elle courait avec moi dans ses bras, en se cachant derrière un meuble après l'autre, scrutant, éperdue de terreur, s’attendant à voir les yeux écarquillés et peut-être un sourire sauvage.

Elle était restée près du monte-charge. Que pouvait- elle faire?

Il y avait la cave, bien sûr. Les fenêtres étaient trop petites pour que quelqu’un puisse passer à travers. Mais il n'y avait pas de crochet à l'intérieur de la porte de la cave. Et il aurait été plus horrible, en quelque sorte, d’être pris au piège là-bas, dans l'obscurité, si la femme finalement se frayait un chemin dans la maison et descendait les marches de la cave.

Il y avait également l'étage, mais pour y arriver ma mère aurait dû traverser la grande pièce — cette grande pièce où les coups pleuvraient à l'avenir, mais qui n'était pas si mal après que l’escalier aient été encloisonnées.

Je ne sais pas quand ma mère m’a raconté pour la première fois cette histoire, mais il me semble que c'était là que les premières versions s’arrêtaient — avec Mme Netterfield qui appuyait son visage et ses mains contre la vitre tandis que ma mère se cachait. Mais dans les versions ultérieures il y a une fin après le seul regard. L’impatience ou la colère ont pris place, puis le cliquetis et le claquement sont arrivés. Aucune mention d’un cri. La vieille femme n’avait peut-être pas le souffle pour le faire. Ou peut-être qu'elle avait oublié ce pour quoi elle était venue, une fois ses forces épuisées.

Quoi qu'il en soit, elle a renoncé, c'est tout ce qu'elle a fait. Après avoir fait le tour des fenêtres et des portes, elle s'en est allée. Ma mère a finalement eu le courage de regarder autour et a conclu que Mme Netterfield était partie ailleurs.

Elle n'a cependant pas retiré le fauteuil de la poignée jusqu'à ce que mon père rentre à la maison .

Je ne veux pas dire que ma mère parlait souvent de cela. Ça ne faisait pas partie du répertoire que j'ai appris à connaître et, pour la plupart, trouvé intéressant : son combat pour se rendre à l'école secondaire, l'école où elle enseignait, en Alberta, et où les enfants arrivaient à cheval, les amis qu'elle avaient à l'École normale, les tours innocents qui se jouaient.

Je pouvais toujours deviner ce qu'elle disait. J'étais son interprète quand les autres ne le pouvaient pas, et parfois j'étais pleine de détresse quand je devais répéter des phrases élaborées ou ce qu'elle pensait être des plaisanteries, et que je pouvais voir que les gens mouraient d’envie de partir . La venue en visite de la vieille Mme Netterfield, comme elle l'appelait, n'a jamais été quelque chose dont j’aurais été obligée de parler. Mais je dois avoir été au courant depuis longtemps. Je me souviens de lui avoir demandé à un moment donné si elle savait ce qu'il était advenu de la femme par la suite.

« Ils l'ont emmenée », dit-elle. « On ne l'a pas laissé mourir seule. »

Après mon mariage et mon déménagement à Vancouver, je recevais toujours l'hebdomadaire publié dans la ville où j'avais grandi. Je pense que quelqu'un, peut-être mon père et sa seconde épouse, avaient fait en sorte que j'aie un abonnement. Souvent, je le regardais à peine, mais une fois, je l'ai fait, et j'ai vu le nom de Netterfield. Ce n'était pas le nom de quelqu'un qui vivait en ville à l'heure actuelle, mais c’avait apparemment été le nom de jeune fille d'une femme de Portland, en Oregon, qui avait écrit une lettre au journal papier. Cette femme, comme moi , avait encore un abonnement au journal de sa ville natale , et elle avait écrit un poème sur son enfance.

Je sais une colline herbeuse
Au-dessus d'une rivière claire
Un lieu de paix et de plaisir
Un souvenir très cher –

Il y avait plusieurs strophes, et en le lisant j'ai commencé à comprendre qu'elle parlait des mêmes battures dont j'avais pensé qu’elles m'appartenaient.

« Les lignes que je joins ont été écrites à partir de souvenirs de cette ancienne colline », disait-elle. « S'ils sont dignes d'un peu d'espace dans votre journal respectable, je vous remercie. »

Le soleil sur la rivière
Avec des étincelles incessantes joue
Et en face sur l'autre rive
Il y a des fleurs sauvages et gaies–

C'était notre rive. Ma rive. Une autre strophe portait sur un pied d'érable. Je crois qu'elle s’en souvenait mal, c’étaient des ormes, qui étaient tous morts de la maladie hollandaise de l’orme[6] depuis.

Le reste de la lettre rendait les choses plus claires. La femme disait que son père —qui se nommait Netterfield— avait acheté un lopin de terre auprès du gouvernement en 1883, dans ce qui s’appela plus tard la Basse-Ville. Le terrain descendait vers la rivière Maitland.

À travers le cours d’eau bordé d’iris
s’étend l'ombre des érables
Et, sur le champ terraqué de la rivière,
des oies blanches sont nourries en troupeaux.

Elle avait laissé de côté, tout comme je l'aurais fait, la façon dont la source était troublée et souillée tout autour par les sabots des chevaux. Et par le fumier.

En fait, j'avais fait quelques poèmes moi-même, de nature très semblable, bien qu'ils aient aujourd’hui disparu, et que peut-être ils n'aient jamais été écrits. Des vers qui chantaient la nature, et puis qui étaient un peu difficiles à boucler. Je les aurais composés juste à l'époque où j'étais si intolérante face à  ma mère et où mon père faisait la chasse à la méchanceté en moi. Ou me battait comme plâtre[7], comme les gens disaient en riant à l'époque.

Cette femme disait qu'elle était née en 1876. Elle avait passé sa jeunesse, jusqu'à ce qu'elle se marie, dans la maison de son père. C'est là où la ville prenait fin et où débutaient les terres agricoles, et elle était exposée au couchant.

Notre maison.

Est-il possible que ma mère n'ait jamais su cela, n'ait jamais su que notre maison était l’endroit où la famille Netterfield avait vécu et que la vieille femme regardait par les fenêtres de ce qui avait été sa propre maison ? C'est possible.

En prenant de l’âge, je suis devenue assez intéressée aux archives, et à l'entreprise fastidieuse de rechercher les références, et j'ai constaté que cette maison a appartenu à plusieurs familles différentes entre le moment où les Netterfield ont vendu et le moment où mes parents ont emménagé. Vous pourriez vous demander pourquoi elle avait été liquidée, alors que cette femme avait encore des années à vivre. Était-elle restée veuve, à court d'argent ? Qui sait ? Et qui est venu et l'a emmenée, comme disait ma mère ? C'était peut-être sa fille, cette même femme qui écrivait des poèmes et qui vivait en Oregon. Peut-être que cette fille, adulte et lointaine, était ce qu’elle cherchait dans le landau Juste après ma mère m’avait attrapée, disait-elle, comme si ma vie en dépendait[8].

La fille ne vivait pas si loin de chez moi, dans ma vie d'adulte. J’aurais pu lui écrire, peut-être lui rendre visite. Si je n'avais pas été tellement occupé avec ma propre petite famille et ma propre écriture invariablement déchirée, si je n'avais pas été si sévère, en tout cas, envers les efforts littéraires et les sentiments qui étaient les siens. Mais elle aurait pu ne pas être heureuse d'entendre ce que je lui aurais dit. La personne à qui j’aurais vraiment aimé parler alors c'était ma mère, qui n'était plus disponible.

Je ne suis pas revenue à la maison pour l’ultime maladie de ma mère ni pour son enterrement. J’avais deux petits enfants et personne à Vancouver à qui les laisser. Nous aurions à peine pu nous payer le voyage, et mon mari tenait tout comportement formel dans le mépris, mais pourquoi le lui reprocher ? J'ai ressenti la même chose. Nous disons de certaines choses qu'elles ne peuvent pas être pardonnées, ou que nous ne les pardonnerons jamais nous-mêmes. Mais en fait, nous le faisons tout le temps.

Quand ma mère était mourante, elle est sortie comme elle a pu de l'hôpital, dans la nuit, et elle a erré dans la ville jusqu'à ce que quelqu'un qui ne la connaissait pas du tout la repère et la ramène. Si c’était du roman, comme je le disais, ce serait en faire de trop, mais c'est vrai.

Le texte original est sur http://www.newyorker.com/reporting/2011/09/19/110919fa_fact_munro?printable=true&currentPage=all#ixzz2hOcXWO5M

Si vous trouvez des erreurs, merci de me les signaler ….note du traducteur



[1] Une acre = 4000 m2 env.

[2] Anne... la maison aux pignons verts (Anne of Green Gables) est un roman écrit en 1908 par l'auteure canadienne Lucy Maud Montgomery. Initialement destiné à des lecteurs de tous âges, le roman est depuis quelques décennies, considéré comme un livre pour enfants. Pat of Silver Bush (1933) du même auteur, raconte l’histoire Patricia Gardiner, qui déteste le changement quel qu’il soit et qui aime sa maison, Silver Bush, plus que tout au monde. d’après Wikipedia.

[3] Cedar au Canada : probablement du red Cedar, c’est-à-dire du thuya.

[4] Gens Indépendants, 1934-1935, en islandais Sjálfstætt fólk est un roman de Halldór Laxness, (1902-1998) prix Nobel de littérature 1955traduction française de Régis Boyer, Fayard, 2004.

[5] Buckle down to work" originally meant a knight buckling down all of his armor before a battle.
à l'origine un chevalier qui ceint toute son armure avant la bataille. Source : Mental_floss

[6] La graphiose, aussi nommée « maladie hollandaise de l'orme », est une maladie fongique de l'orme vraisemblablement d'origine asiatique, qui est apparue en 1919 pour la première fois aux Pays-Bas (d'où son nom) et dans le nord de la France, puis s'est développée dans toute l'Europe. Son introduction en Amérique du Nord (États-Unis puis Canada) en 1928 provoque de très graves dégâts sur l'orme américain qu'elle détruit sur des surfaces considérables. Vers 1970, une nouvelle souche encore plus agressive fut introduite en Europe à la faveur d'importations de grumes. (Wikipedia)

[7] "Beat the tar out of" is thought to have come from sheep farmers, who would slather tar on a sheep's cut when it got nicked from shearing. Later, they would have to beat the tar out. Littéralement, faire sortir le goudron au bâton ; l’expression viendrait des éleveurs de moutons, qui barbouillaient du goudron sur la blessure d'un mouton entaillé lors de la tonte. Par la suite, il leur faudrait extraire le goudron. http://mentalfloss.com/article/20555/quick-10-origins-10-curious-phrases#ixzz2iZ9iw4hj

[8] comme si ma vie en dépendait traduit for dear life, formule qui évoque le titre de la nouvelle.

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Commentaires
K
alors vraiment quel plaisir d'avoir la liberté de lire cette nouvelle.Bien de l'amitié au traducteur <br /> <br /> Kara
C
Merci, Jean-Ollivier. Très belle écriture et nouvelle, magistralement conduite.
J
Dear Life A childhood visitation. by Alice Munro <br /> <br /> <br /> <br /> I lived when I was young at the end of a long road, or a road that seemed long to me. Behind me, as I walked home from primary school, and then from high school, was the real town with its activity and its sidewalks and its streetlights for after dark. Marking the end of town were two bridges over the Maitland River: one narrow iron bridge, where cars sometimes got into trouble over which one should pull off and wait for the other, and a wooden walkway, which occasionally had a plank missing, so that you could look right down into the bright, hurrying water. I liked that, but somebody always came and replaced the plank eventually.<br /> <br /> Then there was a slight hollow, a couple of rickety houses that got flooded every spring, but that people—different people—always came and lived in anyway. And then another bridge, over the mill race, which was narrow but deep enough to drown you. After that, the road divided, one part of it going south up a hill and over the river again to become a genuine highway, and the other jogging around the old fairgrounds to turn west.<br /> <br /> That westward road was mine.<br /> <br /> There was also a road heading north, which had a brief but real sidewalk and several houses close together, as if they were in town. One of them had a sign in the window that said “Salada Tea,” evidence that groceries had once been for sale there. Then there was a school, which I had attended for two years of my life and never wished to see again. After those years, my mother had made my father buy an old shed in town, so that he would be paying town taxes and I could go to the town school. As it turned out, she hadn’t needed to do that, because in the year, in the very month, that I started school in town war was declared with Germany and, as if by magic, the old school, where bullies had taken away my lunch and threatened to beat me up and nobody had seemed to learn anything in the midst of the uproar, was cut in half, with only one room and one teacher, who probably did not lock the doors at recess. It appeared that the same boys who’d always asked me rhetorically and alarmingly if I wanted to fuck were just as eager to get jobs as their older brothers were to go into the Army. I don’t know if the school toilets had improved by then or not, but they had been the worst thing. It was not as if we didn’t resort to an outhouse at home, but it was clean and even had a linoleum floor. At that school, for reasons of contempt or whatever, nobody seemed to bother to aim for the hole. In many ways it wasn’t easy for me in town, either, because everybody else had been together since grade one, and there were many things that I hadn’t learned yet, but it was a comfort to see my new school’s unsoiled seats and to hear the noble urban sound of its flush toilets.<br /> <br /> During my time at the first school, I did make one friend. A girl whom I’ll call Diane arrived partway through my second year. She was about my age, and she lived in one of those houses with a sidewalk. She asked me one day if I could do the Highland fling, and when I said no she offered to teach me. With this in mind, we went to her place after school. Her mother had died and she had come to live with her grandparents. To dance the Highland fling, she told me, you needed clicking shoes, which she had and, of course, I didn’t, but our feet were nearly the same size, so we could trade while she tried to teach me. Eventually, we got thirsty and her grandmother gave us a drink of water, but it was horrid water from a dug well, just like at school. I explained about the superior water we got from a drilled well at home, and the grandmother said, without taking any sort of offense, that she wished they had that, too.<br /> <br /> But then, too soon, my mother was outside, having gone to the school and discovered my whereabouts. She honked the car horn to summon me and didn’t even respond to the grandmother’s friendly wave. My mother did not drive often, and when she did there was a nervous solemnity to the occasion. On the way home, I was told that I was never to enter that house again. (This proved not to be difficult, because Diane stopped appearing at school a few days later—she had been sent away somewhere.) I told my mother that Diane’s mother was dead and she said yes, she knew. I told her about the Highland fling, and she said that I might learn it properly sometime, but not in that house. <br /> <br /> I did not find out then that the mother had been a prostitute and died of some ailment that it seems prostitutes caught. She’d wanted to be buried at home, and the minister of our own church had done the service. There was controversy over what he’d said. Some people thought he should have left it out, but my mother believed that he had done the right thing. <br /> <br /> The wages of sin is death.<br /> <br /> She told me this a long time later, or what seemed a long time later, when I was at the stage of hating a great many things she said, particularly when she used that voice of shuddering, even thrilled, conviction, with a tremor that seemed to be there more and more regularly, whether deliberate or not.<br /> <br /> I ran into the grandmother now and again. She always had a little crinkly smile for me. She said it was wonderful that I kept going to school, and she reported on Diane, who also continued for a notable time, wherever she was—though not for as long as I did. According to her grandmother, she then got a job in a restaurant in Toronto, where she wore an outfit with sequins on it. I was old enough at that point, and mean enough, to assume that it was a place where you also took the sequin outfit off. <br /> <br /> Diane’s grandmother wasn’t the only one who thought I was taking a long time at school. Along my road, there were a number of houses that were set farther apart than they would have been in town but still didn’t have much in the way of property. One of them, on a small hill, belonged to Waitey Streets, a one-armed veteran of the First World War. He kept some sheep and had a wife, whom I saw only once, when she was filling the drinking pail at the pump. Waitey liked to joke about the number of years I had been at school and how it was a pity that I could never pass my exams and be done with it. And I joked back, pretending that was true. I was not sure what he really believed. This was the way you knew people on the road, and they knew you. You’d say hello, and they’d say hello and something about the weather, and if they had a car and you were walking they would give you a ride. It wasn’t like the real country, where people usually knew the insides of one another’s houses and everybody had more or less the same way of making a living.<br /> <br /> I wasn’t taking longer to finish high school than anybody who went through the full five grades would. But few students did that. Nobody expected then that the same number of people who entered in grade nine would come out, all stuffed with knowledge, at the end of grade thirteen. People got part-time jobs and gradually those turned into full-time jobs. Girls got married and had babies, in that order or the other. With only about a quarter of the original class left, in grade thirteen, there was a sense of scholarship, of serious achievement, or perhaps just a special kind of serene impracticality that hung on, no matter what happened to you later. <br /> <br /> I felt as if I were a lifetime away from most of the people I had known in grade nine, let alone in that first school.<br /> <br /> In a corner of our dining room was something that always surprised me a little when I got the Electrolux out to clean the floor. I knew what it was—a very new-looking golf bag, with the golf clubs and balls inside. I just wondered what it was doing in our house. I knew hardly anything about the game, but I had my ideas about the type of people who played it. They were not people who wore overalls, as my father did, though he put on better work pants to go downtown. I could, to some extent, imagine my mother getting into the sporty kind of clothes you would have to wear, tying a scarf around her fine, blowing hair. But not actually trying to hit a ball into a hole. The frivolity of such an act was surely beyond her.<br /> <br /> She must have thought differently at one time. She must have thought that she and my father were going to transform themselves into a different sort of people, who enjoyed a degree of leisure. Golf. Dinner parties. Perhaps she had convinced herself that certain boundaries were not there. She had managed to get herself off a farm on the bare Canadian Shield—a farm much more hopeless than the one my father came from—and she had become a schoolteacher, who spoke in such a way that her own relatives were not easy around her. She might have got the idea that after such striving she would be welcomed anywhere.<br /> <br /> My father had other ideas. He didn’t think that town people or any people were actually better than he was. But he believed that they thought they were. And he preferred never to give them a chance to show it.<br /> <br /> It seemed that, in the matter of golf, it was my father who had won.<br /> <br /> It wasn’t as if he’d been content to live the way his parents had expected him to live, taking over their decent farm. When he and my mother left their communities behind and bought this plot of land at the end of a road near a town they didn’t know, their idea was almost certainly to become prosperous by raising silver foxes and, later on, mink. As a youth, my father had found himself happier following a trapline than helping on the farm or going to high school—and richer, too, than he had ever been before—and this idea had come upon him and he had taken it up, as he thought, for a lifetime. He put what money he had collected into it, and my mother contributed her teacher’s savings. He built all the pens and shelters in which the animals would live, and put up the wire walls that would contain their captive lives. The plot of land, five acres large, was the right size, with a hayfield and enough pasture for our own cow and whatever old horses were waiting to be fed to the foxes. The pasture ran right down to the river and had twelve elm trees shading it.<br /> <br /> There was quite a lot of killing going on, when I come to think of it. The horses had to be turned into meat and the fur-bearing animals culled every fall to leave just the breeders. But I was used to this and could easily ignore it, constructing for myself a scene that was purified to resemble something out of the books I liked, such as “Anne of Green Gables” or “Pat of Silver Bush.” I had the help of the elm trees, which hung over the pasture and the shining river, and the surprise of a spring that came out of the bank above the pasture, providing water for the doomed horses and the cow and also for me, out of a tin mug I had found. There was always fresh manure around, but I ignored it, as Anne must have done at Green Gables. <br /> <br /> In those days, I had to help my father sometimes, because my brother wasn’t old enough yet. I pumped fresh water, and I walked up and down the pens, cleaning out the animals’ drinking tins and refilling them. I enjoyed this. The importance of the work, the frequent solitude were just what I liked. Later on, I had to stay in the house to help my mother, and I was full of resentment and quarrelsome remarks. “Talking back,” it was called. <br /> <br /> I hurt her feelings, she said, and the outcome was that she would go to the barn to tell on me, to my father. Then he’d have to interrupt his work to give me a beating with his belt. Afterward, I’d lie weeping in bed and make plans to run away. But that phase, too, passed, and I became manageable, even jolly, noted for my funny recountings of things that I had heard about in town, or that had happened at school.<br /> <br /> Our house was of a decent size. We didn’t know exactly when it had been built but it had to be less than a century old, because 1858 was the year the first settler had stopped at a place called Bodmin—which had now disappeared—built himself a raft, and come down the river to clear trees from the land that later became a whole village. That early village soon had a sawmill and a hotel and three churches and a school, the same school that was my first, and so dreaded by me. Then a bridge was built across the river, and it began to dawn on people how much more convenient it would be to live over on the other side, on higher ground, and the original settlement dwindled away to the disreputable, and then just peculiar, half-village that I have spoken of. <br /> <br /> Our house would not have been one of the first houses in that early settlement, because it was covered with brick, and they were all just wood, but it had probably gone up not long afterward. It turned its back on the village, facing west across slightly downsloping fields to the hidden curve where the river made what was called the Big Bend. Beyond the river was a patch of dark evergreen trees, probably cedar but too far away to tell. And even farther away, on another hillside, was another house, quite small at that distance, facing ours, that we would never visit or know and that was like a dwarf’s house in a story. But we knew the name of the man who lived there, or had lived there at one time, for he might have died by now. Roly Grain, his name was, and he does not have any further part in what I’m writing now, in spite of his troll’s name, because this is not a story, only life. <br /> <br /> My mother had two miscarriages be fore she had me, so when I was born, in 1931, there must have been some satisfaction. That, in spite of the times, which were getting less and less promising. The truth was that my father had got into the fur business just a little too late. The success he’d hoped for would have been more likely back in the mid-twenties, when furs were newly popular and people had money. But he had not got started then. <br /> <br /> Still, we survived, right up to and through the war, and even at the end of the war there must have been an encouraging flurry, because that was the summer my father fixed up the house, adding a layer of brown paint over the traditional red brick. There was some problem with the way the bricks and boards were fitted; they did not keep out the cold as well as they were supposed to. It was thought that the coat of paint would help, though I can’t recall that it ever did. Also, we got a bathroom, and the unused dumbwaiter became kitchen cupboards, and the big dining room with the open stairway changed into a regular room with enclosed stairs. That change comforted me in some unexamined way, because my father’s beatings had taken place in the dining room, with me wanting to die for the misery and shame of it all. And now it was as if their whole setting were gone. It was hard even to imagine such a thing happening. I was in high school and doing better every year, as activities like hemstitching and writing with a straight pen were left behind, and Social Studies became History and you could learn Latin. <br /> <br /> After the optimism of that season of redecoration, however, business dried up again, and this time it never came back. My father pelted all the foxes, then the mink, and got what shockingly little money he could for them, then he worked by day pulling down the sheds where that enterprise had been born and had died, before heading off to take the five-o’clock watch in the foundry, coming back around midnight.<br /> <br /> By now, I was in my last year of local education. As soon as I got home from school, I went to work making my father’s lunch. I fried two slices of cottage roll and put lots of ketchup on them. I filled his thermos with strong black tea. I put in a bran muffin with jam on it, or perhaps a heavy piece of homemade pie. Sometimes on Saturdays I made a pie, and sometimes my mother did, though her baking was getting to be unreliable.<br /> <br /> Something had come upon us that was even more unexpected and would become more devastating than the loss of income, though we didn’t know it yet. It was the early onset of Parkinson’s disease, which showed up when my mother was in her forties.<br /> <br /> At first, it was not too bad. Her eyes only rarely turned up into her head in a wandering way, and the soft down from an oversupply of saliva was just visible around her lips. She could get dressed in the mornings with some help, and she was able to do occasional chores around the house. <br /> <br /> She held on to some strength in herself for a surprisingly long time.<br /> <br /> You would think that this was all too much. The business gone, my mother’s health going. It wouldn’t do in fiction. But the strange thing is that I don’t remember that time as unhappy. There wasn’t a particularly despairing mood around the house. Maybe it was not understood then that my mother wouldn’t get any better, only worse. As for my father, he had his strength and would have it for a long time yet. He liked the men he worked with at the foundry, who were, for the most part, men like himself, who’d had some sort of downturn or extra burden added to their lives. He liked the challenging work he did in addition to being the early-night watchman. That work involved pouring molten metal into molds. The foundry made old-fashioned stoves that were sold all over the world. It was dangerous, but it was up to you to look out, as my father said. And it was decently paid—a novelty for him. <br /> <br /> I believe he was glad to get away, even to do this hard and risky work. To get out of the house and into the company of other men who had problems but made the best of things.<br /> <br /> Once he was gone, I’d start on supper. I could make things that I thought were exotic, like spaghetti or omelettes, as long as they were cheap. And after the dishes were done—my sister had to dry them, and my brother had to be nagged into throwing the dishwater out over the dark field—I sat down with my feet in the warming oven, which had lost its door, and read the big novels I borrowed from the town library: “Independent People,” which was about life in Iceland, harder than ours by far, but with a hopeless grandeur to it, or “Remembrance of Things Past,” which was about nothing I could understand at all but which I would not give up just because of that, or “The Magic Mountain,” about tuberculosis and a great argument between what on one side seemed to be a genial and progressive notion of life and, on the other, a dark but somehow thrilling despair. I never did homework in this precious time, but when exams came I buckled down and stayed up almost all night,cramming my head with whatever I was supposed to know. I had a prodigious short-term memory, and that worked quite well for what was required.<br /> <br /> Against several odds, I believed myself a lucky person.<br /> <br /> Sometimes my mother and I talked, mostly about her younger days. I seldom objected now to her way of looking at things. Even her quavery voice, which surfaced especially when she spoke about how sacred sex was because it brought us little children, was something I could now endure or pass over.<br /> <br /> Several times, she told me a story that had to do with the house that now belonged to the war veteran named Waitey Streets—the man who marvelled at the length of time I had to stay in school. The story was not about him but about someone who had lived in that house long before he did, a crazy old woman named Mrs. Netterfield. Mrs. Netterfield had had her groceries delivered, as we all did, after ordering them over the phone. One day, my mother said, the grocer forgot to put in her butter, or she forgot to order it, and when the delivery boy was opening the back of the truck she noticed the mistake and became upset. But she was prepared, in a way. She had her hatchet with her and she raised it as if to punish the grocery boy—though, of course, it wasn’t his fault—and he ran up to the driver’s seat and pulled off without even closing the back doors.<br /> <br /> Some things about this story were puzzling, though I didn’t think about them at the time and neither did my mother. How could the old woman have been sure already that the butter was missing? And why would she have been equipped with a hatchet before she even knew there was any fault to find? Did she carry it with her, in case of provocations in general? My mother told me that Mrs. Netterfield was said to have been a lady when she was younger.<br /> <br /> There was another story about Mrs. Netterfield that had more interest because it featured me and took place in our house.<br /> <br /> It was a beautiful day in the fall. I had been set out to sleep in my baby carriage on the little patch of new lawn. My father was away for the afternoon—perhaps helping out his father on the old farm, as he sometimes did—and my mother was doing some clothes washing at the sink. For a first baby there was a lot of knitwear, ribbons, things to be washed carefully by hand in soft water. There was no window in front of my mother as she washed and wrung things out at the sink. <br /> <br /> To get a look outside, you had to cross the room to the north window. That gave you a view of the driveway, which led from the mailbox to the house. <br /> <br /> Why did my mother decide to leave her washing and wringing out in order to look at the driveway? She was not expecting any company. My father wasn’t late. Possibly she had asked him to get something at the grocery store, something she needed for whatever she was making for supper, and she was wondering if he would be home in time for her to make it. She was a fairly fancy cook in those days—more so, in fact, than her mother-in-law and the other women in my father’s family thought necessary. When you looked at the cost, as they would say.<br /> <br /> Or it may have had nothing to do with supper but have involved a pattern he was picking up, or a piece of material for a new dress she wanted to make for herself. <br /> <br /> She never said afterward why she had done it.<br /> <br /> Misgivings about my mother’s cooking were not the only problem with my father’s family. There must have been some discussion about her clothes, too. I think of how she used to wear an afternoon dress, even if she was only washing things at the sink. She took a half-hour nap after the noon meal and always put on a different dress when she got up. When I looked at photographs later on, I thought that the fashions of the time had not been becoming to her, or to anybody. The dresses were shapeless, and bobbed hair did not suit my mother’s full, soft face. But this would not have been the objection of my father’s female relatives, who lived close enough to keep tabs on her. Her fault was that she did not look like what she was. She did not look as if she had been brought up on a farm, or as if she intended to remain on one.<br /> <br /> She did not see my father’s car coming down the lane. Instead, she saw the old woman, Mrs. Netterfield. Mrs. Netterfield must have walked over, from her own house. The same house where, much later on, I would see the one-armed man who teased me, and just the one time his bob-haired wife, at the pump. The house from which, long before I knew anything about her, the crazy woman had pursued the delivery boy with a hatchet, on account of some butter.<br /> <br /> My mother must have seen Mrs. Netterfield at least a few times before she noticed her walking down our lane. Maybe they had never spoken. It’s possible, though, that they had. My mother might have made a point of it, even if my father had told her that it was not necessary. It might even lead to trouble, was what he probably would have said. My mother had sympathy for people who were weird, as long as they were decent.<br /> <br /> But now she was not thinking of friendliness or decency. Now she was running out the kitchen door to grab me out of my baby carriage. She left the carriage and the covers where they were and ran back into the house, locking the kitchen door behind her. The front door she did not need to worry about—it was always locked.<br /> <br /> But there was a problem, wasn’t there, with the kitchen door? As far as I know, it never had a proper lock. There was just a custom, at night, of pushing one of the kitchen chairs against that door, and tilting it with the chair back under the doorknob, in such a way that anybody pushing it to get in would have made a dreadful clatter. A fairly haphazard way of maintaining safety, it seems to me, and not in keeping, either, with the fact that my father had a revolver in the house, in a desk drawer. Also, as was natural in the house of a man who regularly had to shoot horses, there was a rifle and a couple of shotguns. Unloaded, of course.<br /> <br /> Did my mother think of any weapon, once she had got the doorknob wedged in place? Had she ever picked up a gun, or loaded one, in her life?<br /> <br /> Did it cross her mind that the old woman might just be paying a neighborly visit? I don’t think so. There would have been a difference in the walk, a determination in the approach of the woman coming down the lane.<br /> <br /> It is possible that my mother prayed, but she did not mention it.<br /> <br /> She knew that there was an investigation of the blankets in the carriage, because, just before she pulled down the kitchen-door blind, she saw one of those blankets being flung out to land on the ground. After that, she did not try to get the blinds down on any other window, but stayed with me in her arms where she could not be seen.<br /> <br /> There was no decent knock on the door. No pushing at the chair, either. No banging or rattling. My mother was in a hiding place by the dumbwaiter, hoping against hope that the quiet meant that the woman had changed her mind and gone home.<br /> <br /> Not so. She was walking around the house, taking her time, and stopping at every downstairs window. The storm windows, of course, were not on yet. She could press her face against every pane of glass. The blinds were all up as high as they could go, because of the fine day. The woman was not very tall, but she did not have to stretch to see inside. <br /> <br /> How did my mother know this? It was not as if she were running around with me in her arms, hiding behind one piece of furniture after another, peering out, distraught with terror, to see the staring eyes and maybe a wild grin.<br /> <br /> She stayed by the dumbwaiter. What else could she do?<br /> <br /> There was the cellar, of course. The windows were too small for anybody to get through them. But there was no inside hook on the cellar door. And it would have been more horrible, somehow, to be trapped down there in the dark, if the woman did finally push her way into the house and came down the cellar steps. <br /> <br /> There was also the upstairs, but to get there my mother would have had to cross the big room—that big room where the beatings would take place in the future, but which was not so bad after the stairs were closed in. <br /> <br /> I don’t know when my mother first told me this story, but it seems to me that that was where the earlier versions stopped—with Mrs. Netterfield pressing her face and hands against the glass while my mother hid. But in later versions there was an end to just looking. Impatience or anger took hold and then the rattling and the banging came. No mention of yelling. The old woman may not have had the breath to do it. Or perhaps she forgot what it was she’d come for, once her strength ran out.<br /> <br /> Anyway, she gave up; that was all she did. After she had made her tour of the windows and doors, she went away. My mother finally got the nerve to look around and concluded that Mrs. Netterfield had gone somewhere else. <br /> <br /> She did not, however, take the chair away from the doorknob until my father came home.<br /> <br /> <br /> <br /> I don’t mean to imply that my mother spoke of this often. It was not part of the repertoire that I got to know and, for the most part, found interesting: her struggle to get to high school; the school where she taught, in Alberta, and where the children arrived on horseback; the friends she had at Normal School; the innocent tricks that were played.<br /> <br /> I could always make out what she was saying. I was her interpreter when other people couldn’t, and sometimes I was full of misery when I had to repeat elaborate phrases or what she thought were jokes, and I could see that people were dying to get away. <br /> <br /> The visitation of old Mrs. Netterfield, as she called it, was not something I was ever required to talk about. But I must have known about it for a long time. I remember asking her at some point if she knew what had become of the woman afterward.<br /> <br /> “They took her away,” she said. “She wasn’t left to die alone.”<br /> <br /> <br /> <br /> After I was married, and had moved to Vancouver, I still got the weekly paper that was published in the town where I grew up. I think somebody, maybe my father and his second wife, made sure that I had a subscription. Often, I barely looked at it, but one time, when I did, I saw the name Netterfield. It was not the name of someone who was living in the town at present but had apparently been the maiden name of a woman in Portland, Oregon, who had written a letter to the paper. This woman, like me, still had a subscription to her home-town paper, and she had written a poem about her childhood there. <br /> <br /> I know a grassy hillside<br /> <br /> Above a river clear<br /> <br /> A place of peace and pleasure <br /> <br /> A memory very dear—<br /> <br /> There were several verses, and as I read I began to understand that she was talking about the same river flats that I had thought belonged to me.<br /> <br /> “The lines I am enclosing were written from memories of that old hillside,” she said. “If they are worthy of a little space in your time-honoured paper, I thank you.”<br /> <br /> The sun upon the river<br /> <br /> With ceaseless sparkles play<br /> <br /> And over on the other bank<br /> <br /> Are blossoms wild and gay—<br /> <br /> That was our bank. My bank. Another verse was about a stand of maples. I believe she was remembering it wrong—they were elms, which had all died of Dutch Elm disease by then.<br /> <br /> The rest of the letter made things clearer. The woman said that her father—his name had been Netterfield—had bought a piece of land from the government in 1883, in what was later called the Lower Town. The land ran down to the Maitland River. <br /> <br /> Across the Iris-bordered stream<br /> <br /> The shade of maples spread<br /> <br /> And, on the river’s watery field,<br /> <br /> White geese, in flocks are fed<br /> <br /> She had left out, just as I would have done, the way the spring got muddied up and soiled all around by horses’ hooves. And manure.<br /> <br /> In fact, I had made up some poems myself, of a very similar nature, though they were lost now, and maybe had never been written down. Verses that commended Nature, then were a bit hard to wind up. I would have composed them right around the time that I was being so intolerant of my mother, and my father was whaling the unkindness out of me. Or beating the tar out of me, as people would cheerfully say back then.<br /> <br /> This woman said that she was born in 1876. She had spent her youth, until she was married, in her father’s house. It was where the town ended and the farmlands began, and it had a sunset view.<br /> <br /> Our house. <br /> <br /> <br /> <br /> Is it possible that my mother never knew this, never knew that our house was where the Netterfield family had lived and that the old woman was looking in the windows of what had been her own house?<br /> <br /> It is possible. In my old age, I have become interested enough to bother with records, and the tedious business of looking things up, and I have found that several different families owned that house between the time that the Netterfields sold it and the time that my parents moved in. You might wonder why it had been disposed of, when that woman still had years to live. Had she been left a widow, short of money? Who knows? And who was it who came and took her away, as my mother said? Perhaps it was her daughter, the same woman who wrote poems and lived in Oregon. Perhaps that daughter, grown and distant, was who she was looking for in the baby carriage. Just after my mother had grabbed me up, as she said, for dear life.<br /> <br /> The daughter lived not so far away from me, in my adult life. I could have written to her, maybe visited. If I had not been so busy with my own young family and my own invariably torn-up writing, if I had not been so severe, in any case, toward such literary efforts and sentiments as hers. But she might not have been happy to hear what I would have told her. The person I would really have liked to talk to then was my mother, who was no longer available.<br /> <br /> <br /> <br /> I did not go home for my mother’s last illness or for her funeral. I had two small children and nobody in Vancouver to leave them with. We could barely have afforded the trip, and my husband had a contempt for formal behavior, but why blame it on him? I felt the same. We say of some things that they can’t be forgiven, or that we will never forgive ourselves. But we do—we do it all the time.<br /> <br /> When my mother was dying, she got out of the hospital somehow, at night, and wandered around town until someone who didn’t know her at all spotted her and took her in. If this were fiction, as I said, it would be too much, but it is true. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Read more:<br /> <br /> http://www.newyorker.com/reporting/2011/09/19/110919fa_fact_munro?printable=true&currentPage=all#ixzz2hOcXWO5M
L'astragale de Cassiopée
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