LA VIE CHÈREMENT. UNE VISITE RENDUE À L’ENFANCE Dear Life A childhood visitation Alice Munro Prix Nobel de littérature 2013
Alice Munro Prix Nobel de littérature 2013
Voici Dear Life, a childhood visitation, une des nouvelles de Mme Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013, que j’ai trouvée sur le site du New Yorker. Traduire la langue faussement simple d’Alice Munro, dont j’ignorais tout avant que le Nobel ne lui soit décerné, s’est révélé délicat. L’indulgence du lecteur est donc demandée. Si je traduis d’autres nouvelles d’Alice Munro, je reverrai cette version provisoire, une fois aguerri. Assurer la discordance des temps du récit (présent historique, passé simple ou composé, imparfait ou plus-que-parfait…) est en effet redoutable face à des souvenirs d’enfance écrits au passé recomposé. J-o.
LA VIE CHÈREMENT. UNE VISITE RENDUE À L’ENFANCE
(Dear Life A childhood visitation)
J’ai vécu dans mon enfance au bout d'une longue route, ou de ce que je croyais être une longue route. Derrière moi, quand je revenais de l'école primaire, puis du lycée, il y avait la vraie ville avec son activité, ses trottoirs et ses lampadaires pour y voir une fois la nuit tombée. Ce qui marquait la fin de la ville, c’était les deux ponts au-dessus de la rivière Maitland : un pont étroit en fer, où les voitures avaient parfois des problèmes pour savoir laquelle devait s’arrêter pour laisser passer l'autre, et une passerelle en bois, où parfois une planche manquait, de sorte qu’on pouvait voir tout en bas briller l'eau agitée. J'aimais ça, mais quelqu'un venait toujours à la fin remplacer la planche.
Puis il y avait un léger creux, un couple de maisons branlantes qui étaient inondées à chaque printemps, mais où des gens – des gens différents – venaient toujours habiter, de toute façon. Et puis un autre pont, sur le bief, qui était étroit, mais assez profond pour s’y noyer. Après cela, la route se divisait en deux, une qui montait vers une colline au sud et retraversait la rivière pour devenir une véritable autoroute, et l'autre qui serpentait autour des anciens champs avant de tourner à l'ouest.
Cette route vers l'ouest c’était la mienne.
Il y avait aussi une route vers le nord, dotée d’un trottoir court mais réel, et de plusieurs maisons rapprochées, comme si elles étaient en ville. L'une d'elles avait un panneau à la fenêtre qui disait "Thé Salada", preuve que c’avait été une épicerie autrefois. Puis il y avait une école, où j'avais été pendant deux ans de ma vie et que je ne voulais jamais revoir. Après toutes ces années, ma mère avait fait acheter un vieux hangar en ville à mon père, afin qu'il paie des impôts communaux et que je puisse aller à l'école communale. En fait, elle n'aurait pas eu besoin de le faire, parce que, l'année, le mois même, où j'ai commencé l'école à la ville la guerre a été déclarée à l'Allemagne et, comme par magie, la vieille école, où les tyrans m’avaient pris mon déjeuner et m’avaient menacée de me tabasser, et là où personne n’avait paru apprendre quoi que ce soit au milieu du brouhaha, a été coupée en deux, avec une seule salle et un seul professeur, qui ne verrouillait probablement pas les portes à la récréation. Il est apparu que les mêmes garçons qui m'avaient toujours demandé d’une façon récurrente et menaçante si je voulais baiser, étaient tout aussi désireux de trouver un emploi, que leurs grands frères de partir à l'armée. Je ne sais pas si les toilettes de l'école ont été améliorées depuis, ou non, mais c’avait été le pire. Ce n'était pas qu’à la maison nous ne devions pas aller dans une dépendance, mais c’était propre et il y avait même un sol en linoléum. Dans cette école, que ce soit par mépris ou pour une autre raison, personne ne semblait se soucier de viser le trou. À bien des égards, ça n'était pas facile non plus pour moi en ville, parce que tous les autres étaient tous ensemble depuis la première année , et qu’il y avait beaucoup de choses que je n'avais pas encore apprises, mais c’était un grand réconfort de voir les sièges non salis de ma nouvelle école et d'y entendre le noble son citadin des chasses d'eau.
Le temps que j’ai été à l’école primaire, je me suis fait une amie. Une fille que j’appellerai Diane est arrivée au milieu de ma deuxième année. Elle avait à peu près mon âge, et elle vivait dans une de ces maisons avec un trottoir. Elle m'a demandé un jour si je savais faire le Highland Fling, et quand j'ai dit non, elle a proposé de m'apprendre. Avec cette idée en tête, nous sommes allées chez elle après l'école. Sa mère était morte et elle en était venue à vivre avec ses grands-parents. Pour danser le Highland Fling, m'a-t-elle dit, tu as besoin chaussures à claquettes ; elle en avait et, bien sûr, je n'en avais pas, mais nos pieds étaient presque de la même taille, de sorte que nous pouvions les échanger alors qu'elle essayait de m'apprendre. À la fin, nous avons eu soif, et sa grand-mère nous a donné un verre d'eau, mais c'était une eau horrible qui venait d'un puits creusé, tout comme à l'école. J'ai expliqué que nous obtenions de l'eau de qualité supérieure à partir d'un puits foré à la maison, et la grand-mère a dit, sans se vexer le moins du monde, qu'elle aurait bien voulu avoir ça, aussi.
Mais alors, trop tôt, j’ai vu ma mère à l'extérieur ; elle était allée à l'école et elle avait découvert mes allées et venues. Elle a klaxonné pour m’appeler et n'a même pas répondu au signe amical de la grand-mère. Ma mère ne conduisait pas souvent , et quand elle le faisait il y avait là quelque chose de solennel et de nerveux. Sur le chemin du retour, elle m'a dit que je ne devais plus jamais entrer à nouveau dans cette maison. (Cela s'est révélé ne pas poser de difficultés, parce que Diane a cessé de venir à l'école quelques jours plus tard, elle avait été envoyée quelque part ailleurs). J'ai dit à ma mère que la mère de Diane était morte, et elle a dit que oui, elle le savait. Je lui ai parlé du Highland Fling, et elle m'a dit que je pourrais l’apprendre correctement un jour, mais pas dans cette maison.
Je n'ai pas compris alors, que la mère était une prostituée et qu’elle était morte d’une maladie qui semble frapper les prostituées. Elle avait voulu être enterrée chez elle, et le ministre du culte de notre propre église avait assuré le service religieux. Il y avait controverse sur ce qu'il avait dit. Certaines personnes pensaient qu'il aurait dû ne pas en parler, mais ma mère croyait qu'il avait fait le bon choix .
Le salaire du péché, c'est la mort.
Elle m'a dit ça longtemps après, ou ce qui m’a semblé longtemps plus tard, quand j'en étais au stade de haïr beaucoup des choses qu'elle disait, surtout quand elle prenait cette voix d’une conviction frémissante et même passionnée, avec un trémolo qui semblait présent de plus en plus régulièrement, que ce soit délibéré ou non.
Je rencontrais la grand-mère de temps en temps. Elle avait toujours un petit sourire ridé pour moi. Elle me disait que c'était merveilleux que je continue d’aller à l'école, et elle me donnait des nouvelles de Diane, qui a continué elle aussi pendant pas mal de temps, où qu’elle soit, mais pas si longtemps que moi. Selon sa grand-mère, elle avait ensuite trouvé du travail dans un restaurant de Toronto, où elle portait un costume à paillettes. J'étais assez grande à ce moment-là, et assez vache, pour supposer que c'était un endroit où on ôtait aussi le costume à paillettes.
La grand-mère de Diane n'était pas la seule à penser que je passais beaucoup de temps à l'école. Sur mon chemin, il y avait un certain nombre de maisons qui étaient plus éloignées qu'elles ne l’auraient été en ville, mais qui n'avaient toujours pas trop l’allure de propriétés. L'une d'elles, sur une petite colline, appartenaient à Waitey Streets, un vétéran manchot de la Première Guerre mondiale. Il élevait des moutons et il avait une femme, que je n'ai vue qu'une seule fois, un jour qu’elle remplissait le seau d’eau potable à la pompe. Waitey aimait à plaisanter sur le nombre d'années que j'avais passées à l'école et quel dommage que je n'aie jamais pu passer mes examens et en avoir fini. Et je plaisantais en retour, prétendant que c'était vrai. Je n'étais pas sûre de ce qu'il croyait vraiment. C'est comme ça que vous connaissiez les gens sur le chemin, et qu'ils vous connaissaient. Vous disiez bonjour, et ils disaient bonjour et quelque chose à propos de la météo, et s'ils avaient une voiture et que vous étiez à pied ils vous emmenaient. Ce n'était pas comme à la campagne, où les gens connaissaient généralement les maisons les uns des autres de l’intérieur et où tout le monde gagnait plus ou moins sa vie de la même façon.
Je ne prenais pas plus de temps pour terminer mes études secondaires que quelqu'un qui passerait la totalité des cinq années. Mais peu d'étudiants le faisaient. Personne ne s'attendait à l’époque, que du nombre de gens entrant en neuvième année il en sorte le même nombre, tous bourrés de connaissance, à la fin de la treizième année. Les gens avaient des emplois à temps partiel et peu à peu ceux-ci se transformaient en emplois à temps plein. Les filles se mariaient et puis elles avaient des bébés, dans cet ordre ou dans l'autre. Comme il ne restait qu’environ un quart de la classe d'origine en treizième année, il y avait un sentiment d’érudition, de réalisation sérieuse, ou peut-être juste un type particulier d’irréalisme serein qui demeurerait, quoi qui puisse vous arriver plus tard.
Je me sentais sur une autre planète que la plupart des gens que j'avais connus en neuvième année, sans parler de ceux de l’école primaire.
Dans un coin de la salle à manger il y avait quelque chose qui me surprenait toujours un peu quand je sortais l'Electrolux pour nettoyer le plancher. Je savais ce que c'était — un sac de golf à la dernière mode, avec les clubs de golf et des balles à l'intérieur. Je me demandais juste ce que ça faisait dans la maison. Je ne savais presque rien de ce jeu, mais j'avais mon idée sur le type de personnes qui y jouaient. Ce n'étaient pas des gens qui portaient des combinaisons, comme mon père, bien qu’il mette un pantalon de travail plus beau pour aller en ville. Je pouvais, dans une certaine mesure, imaginer ma mère entrer dans ce genre de vêtements sportifs qu’on portait, une écharpe nouée autour de ses beaux cheveux dans le vent. Mais pas en train d'essayer de frapper la balle pour l’envoyer dans un trou. La frivolité d'un tel acte la dépassait sûrement.
Elle a dû penser autrement à un moment donné. Elle a dû penser qu'elle et mon père allaient se transformer en un autre type de gens, de ceux qui jouissaient de certains loisirs. Golf. Dîners. Peut-être qu'elle s'était convaincue que certaines limites n’existaient pas. Elle avait réussi à se sortir elle-même d'une ferme sur le plateau dénudé au Canada, une ferme bien plus désespérante que celle dont venait mon père et elle était devenue institutrice, une institutrice qui parlait de telle manière que ses propres parents n'étaient pas à l’aise avec elle. Elle avait peut-être pensé qu'après tous ces efforts elle serait bien accueillie partout.
Mon père avait d'autres idées. Il ne pensait pas que les gens de la ville ou que quiconque soient en fait meilleurs que lui. Mais il croyait qu'ils pensaient l’être. Et il a préféré ne jamais leur donner la chance de le montrer.
Il semble que, pour le golf, c'était mon père qui avait gagné.
Ce n'était pas comme s'il s’était contenté de vivre comme ses parents s'attendaient à ce qu’il vive, en reprenant leur bonne ferme. Quand lui et ma mère ont quitté leurs communautés et qu’ils ont acheté cette parcelle de terrain au bout d'une route près d'une ville qu'ils ne connaissaient pas, leur idée était presque certainement de devenir prospères en élevant des renards argentés et, plus tard, des visons. Dans sa jeunesse, mon père s’était trouvé lui-même plus heureux de suivre une ligne de pièges que d'aider à la ferme ou d'aller à l'école secondaire — et plus riche, aussi, qu'il ne l'avait jamais été auparavant — et cette idée lui était venue et il l’avait adoptée, pensait-il, pour la vie. Il y a mis tout l'argent qu'il avait gagné, et ma mère a contribué avec ses économies de professeur. Il a construit toutes les enclos et tous les abris dans lesquels les animaux vivraient, et mis en place les parois grillagées qui les tiendraient en captivité. La parcelle de terrain, grande de cinq acres[1], c'était la bonne taille, avec une prairie à faucher et assez de pâture pour notre propre vache et tous les vieux chevaux en attente d'être donnés à manger aux renards. Le pâturage descendait droit vers la rivière et avait douze ormes qui l’ombrageaient.
Il y avait régulièrement pas mal de tueries, quand je viens à y penser. Les chevaux devaient être transformés en viande, et les animaux à fourrure abattus chaque automne pour ne laisser que les reproducteurs. Mais j’étais habituée à ça et je pouvais facilement l’ignorer, en me construisant pour moi-même une histoire purifiée au point de ressembler à quelque chose sortant des livres que j'aimais, comme « Anne of Green Gables » ou « Pat of Silver Bush ».[2] J'avais l’aide des ormes, qui s’étendaient sur le pâturage et sur la rivière qui brillait, et la surprise d'une source qui sortait de la rive au-dessus de la prairie, fournissant l'eau pour les chevaux condamnés, la vache et aussi pour moi, grâce à une tasse en étain que j'avais trouvée. Il y avait toujours du fumier frais autour, mais je l'ignorais, comme Anne le faisait sûrement à Green Gables.
En ce temps-là, je devais parfois aider mon père, parce que mon frère n'était pas encore assez grand. Je pompais l'eau douce, et je montais et je descendais des enclos, m’occupant de nettoyer les abreuvoirs des animaux et de les remplir. J'aimais cela. L'importance du travail, la solitude fréquente c’était juste ce que j'aimais. Plus tard, j’ai dû rester à la maison pour aider ma mère, et j'étais pleine de ressentiment et de remarques querelleuses. On appelait ça : « elle répond ». J’avais blessé ses sentiments, disait-elle, et du coup elle allait à la grange en dire de belles sur moi, à mon père. Alors lui devait interrompre son travail pour me donner une raclée avec sa ceinture. Ensuite, j’allais pleurer dans mon lit et faire des plans pour m'enfuir. Mais cette phase aussi, passa, et je devins gérable, et même sympa, connue pour raconter drôlement les choses que j'avais entendu dire en ville, ou ce qui s'était passé à l'école.
Notre maison était de bonne taille. Nous ne savions pas exactement quand elle avait été construite , mais ce devait être il y a moins d'un siècle, parce que 1858 était l'année où le premier colon s'était installé à un endroit appelé Bodmin, –qui avait maintenant disparu – qu’il avait lui-même construit un radeau, et descendu la rivière pour couper les arbres du terrain qui deviendrait plus tard un village entier. Ce village initial eut bientôt une scierie, un hôtel, trois églises et une école, la même que celle qui avait été ma première école, que j’avais tant redoutée. Ensuite, on construisit un pont sur la rivière, et les gens commencèrent à s’apercevoir qu’il serait beaucoup plus pratique de vivre de l'autre côté, sur un terrain plus élevé, et la colonie initiale diminua jusqu’à n’être que ce demi-village mal famé, et enfin juste bizarre, dont j'ai parlé.
Notre maison n'aurait pas été l'une des premières maisons de cette colonie initiale, car elle était en briques, alors qu’elles étaient toutes en bois, mais elle avait probablement été bâtie peu de temps après. Elle tournait le dos au village, face à l'ouest à travers des champs descendant en pente douce jusqu’à la courbe cachée où la rivière faisait ce qu'on appelait le Big Bend. Au-delà de la rivière il y avait un bosquet de conifères sombres, probablement des cèdres[3] mais c’était trop loin pour le dire. Et même plus loin, sur une autre colline, il y avait une autre maison, toute petite à cette distance, en face de la nôtre, que nous n'aurons jamais visitée ou connue et qui était comme la maison d'un nain dans un conte. Mais nous savions le nom de l'homme qui vivait là-bas, ou qui y avait vécu à un moment donné, car il était peut-être bien mort maintenant. Grain Roly, c’était son nom et il n'aura aucune part dans ce que j'écris maintenant, malgré son nom de troll, car ceci n'est pas une histoire, c’est la vie.
Ma mère avait fait deux fausses couches avant ma naissance, alors quand je suis née, en 1931, ça a dû être une certaine satisfaction. Et cela en dépit des temps, qui devenaient de moins en moins prometteurs. La vérité, c'est que mon père s’était engagé dans son entreprise de fourrure juste un peu trop tard. Il aurait probablement eu plus de chances de succès plus tôt, au milieu des années 20, quand les fourrures étaient à nouveau à la mode et que les gens avaient de l'argent. Mais il n'avait pas démarré à ce moment-là. Pourtant, nous avons survécu, jusqu'à la guerre et pendant, et même à la fin de la guerre il doit y avoir eu un sursaut encourageant, parce que c'est l'été où mon père a remis la maison en état, en ajoutant une couche de peinture brune sur la traditionnelle brique rouge. Il y avait un problème avec la façon dont les briques et des planches s’ajustaient, elles n’isolaient pas du froid comme elles étaient censées le faire. On a pensé que la couche de peinture aiderait, mais je ne me souviens pas qu'elle l’ait jamais fait. En outre, nous avons eu une salle de bains, et le monte-charge inutilisé s’est transformé en placards de cuisine et la grande salle à manger avec l'escalier ouvert en une pièce classique avec un escalier clos. Ce changement m'a réconforté en quelque sorte de façon imprévue, parce que les raclées de mon père avaient lieu dans la salle à manger, et que tout cela me faisait mourir de douleur et de honte. Et maintenant, c'était comme si tout le dispositif avait disparu. C’était même une chose difficile à imaginer. J'étais à l'école secondaire et je réussissais mieux chaque année, une fois les activités comme la couture et l'écriture avec une plume droite abandonnées, les sciences sociales devenues l'histoire et qu’enfin on a pu apprendre le latin.
Après l'optimisme de cette saison de redécoration, cependant, les affaires se sont taries à nouveau, et cette fois pour ne jamais reprendre. Mon père a liquidé tous les renards, puis les visons, et il en a obtenu le peu d'argent qu'il a pu, un scandale, puis il a travaillé le jour en mettant à bas les hangars où cette entreprise était née et où elle était morte, avant d'aller à la fonderie prendre la relève de cinq heures, pour revenir aux alentours de minuit.
A présent, c’était ma dernière année d'études dans notre ville. Dès que je rentrais de l'école, j’allais travailler à préparer le déjeuner de mon père. Je faisais frire deux tranches de talon de jambon en y mettant beaucoup de ketchup. Je remplissais son thermos de thé noir fort. Je mettais un muffin avec de la confiture, ou peut-être un gros morceau de tarte maison. Parfois, le samedi, je faisais une tarte, et parfois c’était ma mère, bien que sa façon de cuisiner soit en train de devenir peu fiable.
Quelque chose était survenu qui était encore plus inattendu et qui deviendrait plus dévastateur que la perte de revenu, bien que nous ne le sachions pas encore. C'était l'apparition précoce de la maladie de Parkinson, qui s’est manifestée lorsque ma mère avait atteint la quarantaine.
Au début, ce n'a pas été trop mal. Ses yeux ne tournaient que rarement dans sa tête, d'une manière erratique, et le coulis d'une surproduction de salive était à peine visible autour de ses lèvres. Elle pouvait s'habiller le matin avec un peu d'aide, et elle réussissait à l’occasion à faire des corvées à la maison. Elle a tenu, grâce à une certaine force en elle, étonnamment longtemps.
On pourrait penser que tout cela est de trop. L'entreprise qui a disparu, la santé de ma mère qui disparaît, ça ne marcherait pas dans un roman. Mais la chose étrange est que je ne me souviens pas de cette période comme malheureuse. L’ambiance n’était pas particulièrement désespérée à la maison. Peut-être ne comprenait-on pas alors que l’état de ma mère ne s’améliorerait pas, mais qu’il empirerait. Quant à mon père, il avait toute sa force et il allait la conserver longtemps encore. Il aimait bien les hommes avec qui il travaillait à la fonderie ; c’étaient, pour la plupart, des hommes comme lui, qui avaient eu un genre de crise ou un fardeau supplémentaire qui s’était rajouté à leur vie. Il aimait le travail difficile qu'il faisait en plus d'être le gardien de début de nuit. Ce travail consistait à couler du métal fondu dans des moules. La fonderie fabriquait des poêles à l'ancienne qui étaient vendues partout dans le monde. C'était dangereux, mais c'était à vous de faire attention, comme disait mon père. Et il avait un salaire décent, une nouveauté pour lui.
Je crois qu'il était heureux de sortir, même pour faire ce travail difficile et risqué. De sortir de la maison et de se retrouver en compagnie d’autres hommes qui avaient des problèmes, mais qui tiraient le meilleur parti des choses telles qu’elles étaient.
Une fois qu'il était parti, je commençais à souper. Je pouvais faire des choses que je trouvais exotiques, comme des spaghettis ou des omelettes, tant que ça ne coûtait pas cher. Et la vaisselle faite, –ma sœur devait l’essuyer, et mon frère devait être houspillé pour aller jeter l'eau de vaisselle sur le terrain obscur –, je m’asseyais avec mes pieds dans le four, qui avait perdu sa porte, et je lisais les grands romans que j'avais empruntés à la bibliothèque municipale : « Gens indépendants[4] », qui parlait de la vie en Islande, plus dure que le nôtre, et de loin, mais d’une grandeur désespérée, ou « La recherche du temps perdu », qui ne traitait de rien que je puisse comprendre du tout, mais que je n’abandonnerais pas, justement à cause de cela, ou « la Montagne magique », à propos de la tuberculose et d’une grande dispute entre ce qui d’un côté semblait être une idée géniale et progressive de la vie et de l'autre, un désespoir sombre mais quand même palpitant. Je ne faisais jamais de devoirs à la maison dans ce temps précieux, mais quand venaient les examens, je me collais au boulot[5] et j’y restais presque toute la nuit, me farcissant la tête de tout ce que je devais savoir. J'avais une prodigieuse mémoire à court terme, et qui marchait très bien pour ce qu’on me demandait. Contre toute attente, je me croyais une personne chanceuse. Parfois, ma mère et moi nous parlions, surtout de ses jeunes années. Je protestais maintenant rarement contre sa façon de voir les choses. Même sa voix chevrotante, qui apparaissait surtout quand elle disait combien le sexe était sacré car il nous apportait des petits enfants, c'était quelque chose que je pouvais maintenant supporter ou laisser passer au-dessus.
Plusieurs fois, elle m'a raconté une histoire qui avait à voir avec la maison qui appartenait maintenant à l'ancien combattant nommé Waitey Streets, l'homme qui s'émerveillait de la longueur du temps que je devais passer à l'école. Dans l'histoire il ne s'agissait pas de lui mais de quelqu'un qui avait vécu dans cette maison bien avant lui, une vieille folle nommé Mme Netterfield. Mme Netterfield se faisait livrer ses courses, comme nous tous, après les avoir commandées par téléphone. Un jour, m'a dit ma mère, l'épicier avait oublié de mettre le beurre, ou bien elle avait oublié de le commander, et quand le livreur a ouvert l'arrière du camion elle a remarqué l'erreur et s'est mise en colère. Mais elle était préparée, en un sens. Elle avait une hache de guerre avec elle et elle l'avait brandie comme pour punir le garçon de l'épicerie - bien que ce ne fût évidemment pas de sa faute - et il avait couru vers le siège du conducteur et il était parti sans même fermer les portes arrière.
Certaines choses dans cette histoire étaient bizarres, mais je n'y avais pas pensé à l'époque, pas plus que ma mère. Comment la vieille femme pouvait-elle aussitôt être sûre que le beurre manquait ? Et pourquoi aurait-elle été équipée d'une hache avant même de savoir qu'il y avait une erreur à trouver ? L’emportait-elle avec elle, en cas de provocations en général ? Ma mère me disait qu’on racontait que Mme Netterfield avait été une dame quand elle était plus jeune.
Il y avait une autre histoire au sujet de Mme Netterfield qui avait davantage d'intérêt parce que je figurais dedans et qu’elle avait eu lieu dans notre maison.
C'était un beau jour d'automne. On m’avait mise à dormir dans mon landau sur le petit bout de la nouvelle pelouse. Mon père était parti pour l'après-midi, –peut-être pour donner un coup de main à son père à l'ancienne ferme, comme il le faisait parfois–, et ma mère lavait des vêtements dans l'évier. Pour un premier bébé il y avait beaucoup de tricots, de rubans, de choses à laver soigneusement à la main dans l'eau douce. Il n'y avait pas de fenêtre devant l'évier où ma mère lavait et essorait le linge. Pour jeter un regard sur l’extérieur, il fallait traverser la pièce jusqu’à la fenêtre au nord. Elle donnait sur l'allée qui menait de la boîte aux lettres à la maison.
Pourquoi ma mère a-t-elle décidé de quitter son lavage et son essorage pour regarder l'allée ? Elle ne s'attendait à aucune visite. Mon père n'était pas en retard. Peut-être qu'elle lui avait demandé de prendre quelque chose à l'épicerie, quelque chose dont elle avait besoin pour tout ce qu'elle faisait pour le souper, et elle se demandait s'il serait à la maison à temps pour qu’elle le fasse. Elle était une cuisinière assez raffinée à cette époque, davantage, en fait, que sa belle-mère, son beau-frère et les autres femmes de la famille de mon père ne le pensaient nécessaire. Quand on regardait le coût, disaient-ils.
Ou peut-être ça n’avait rien à voir avec le souper, mais ça impliquait un modèle qu'il ramassait, ou un morceau de matériau pour une nouvelle robe qu'elle voulait se faire elle-même.
Elle n'a jamais dit par la suite pourquoi elle l'avait fait.
Les doutes au sujet de la cuisine de ma mère n'étaient pas le seul problème avec la famille de mon père. Il doit y avoir eu débat au sujet de ses vêtements aussi. Je pense à l'habitude qu’elle avait de porter une robe d'après-midi, même lorsqu’elle lavait seulement quelque chose dans l'évier. Elle faisait une sieste d’une demi-heure après le repas de midi et elle changeait toujours de robe quand elle se levait. Quand j'ai regardé les photos plus tard, j’ai pensé que la mode de l'époque n'avait pas été seyante, pour elle, ni pour personne.
Les robes étaient informes, et les cheveux courts ne convenaient pas au visage plein et doux de ma mère. Mais les femmes de la famille de mon père, qui vivaient assez près pour garder un œil sur elle, n’y auraient vu aucune objection. Sa faute était qu'elle ne ressemblait pas à ce qu'elle était. Elle n'avait pas l'air d’avoir été élevée dans une ferme, ou d’avoir l'intention d’y rester.
Elle n'avait pas vu la voiture de mon père qui descendait l’allée. Au lieu de cela, elle avait vu la vieille femme, Mme Netterfield. Mme Netterfield avait dû marcher depuis sa propre maison. La même maison où, beaucoup plus tard, je verrais l'homme manchot qui me taquinerait, et juste une fois sa femme aux cheveux courts, à la pompe. La maison d'où, bien avant que je sache rien d'elle, la femme folle avait poursuivi le livreur avec une hache, en raison d’un morceau de beurre.
Ma mère avait dû voir Mme Netterfield au moins à quelques reprises avant qu'elle ne remarque qu’elle marchait sur notre chemin. Peut-être ne s’étaient-elles jamais parlé. Il est possible, cependant, qu’elles l’aient fait. Ma mère aurait pu s’en faire un devoir, même si mon père lui avait dit que ce n'était pas nécessaire. Cela aurait même pu créer des problèmes, aurait-il probablement dit. Ma mère avait de la sympathie pour les gens bizarres, tant qu'ils étaient corrects. Mais maintenant, elle ne pensait ni à la convivialité ni à la décence. Maintenant, elle courait à la porte de la cuisine pour me prendre et me sortir de mon landau. Elle a laissé le chariot et la couverture où ils étaient et elle a couru à la maison, verrouillant la porte de la cuisine derrière elle. La porte d'entrée, elle n'avait pas besoin de s'en inquiéter, elle était toujours verrouillée.
Mais il y avait un problème, n'est-ce pas, avec la porte de la cuisine ? Pour autant que je sache, elle n'avait jamais eu de bonne serrure. Il y avait juste l’habitude, la nuit, de pousser l'une des chaises de cuisine contre cette porte, et d'incliner la chaise sous la poignée de porte, de telle sorte que quiconque la pousseraitpour entrer ferait un fracas épouvantable. Une façon assez désordonnée d’assurer la sécurité, il me semble, et pas conforme, non plus, avec le fait que mon père avait un revolver dans la maison, dans un tiroir de bureau. En outre, comme c’était naturel dans la maison d'un homme qui devait régulièrement tuer des chevaux, il y avait un fusil et une paire de fusils de chasse. Pas chargés, bien sûr.
Ma mère a-t-elle pensé à une arme, une fois qu’elle a réussi à coincer la poignée de porte en place? Avait-elle jamais pris, ou chargé un fusil, de sa vie?
Le fait a-t-il traversé son esprit que la vieille femme pouvait bien effectuer une visite de voisinage ? Je ne le pense pas. Il y aurait eu une différence dans la démarche, une détermination de la femme qui descend l'allée pour s’approcher.
Il est possible que ma mère ait prié, mais elle n'en a pas parlé .
Elle savait qu'on avait fouillé dans les couvertures dans le landau, parce que, juste avant de baisser les stores de la porte de la cuisine, elle avait vu une de ces couvertures jetée à terre. Après cela, elle n'a pas cherché à baisser les stores des autres fenêtres, mais elle est restée, avec moi dans ses bras, là où elle ne pouvait pas être vue.
On n’a pas frappé poliment à la porte. On n’a pas poussé la chaise non plus. Pas de claquement ni de cliquetis . Ma mère était cachée près du monte-charge, espérant contre tout espoir que le silence signifiait que la femme avait changé d'avis et était rentrée chez elle.
Pas du tout. Elle se promenait autour de la maison, en prenant son temps, et s'arrêtant à chaque fenêtre en bas. Les volets, bien sûr, n'étaient pas encore fermés. Elle pouvait appuyer son visage sur chaque vitre . Les stores étaient relevés aussi haut que possible, du fait qu’il faisait beau. La femme n'était pas très grande, mais elle n'avait pas à se hisser pour voir à l'intérieur.
Comment ma mère avait-elle su cela? Ce n'était pas comme si elle courait avec moi dans ses bras, en se cachant derrière un meuble après l'autre, scrutant, éperdue de terreur, s’attendant à voir les yeux écarquillés et peut-être un sourire sauvage.
Elle était restée près du monte-charge. Que pouvait- elle faire?
Il y avait la cave, bien sûr. Les fenêtres étaient trop petites pour que quelqu’un puisse passer à travers. Mais il n'y avait pas de crochet à l'intérieur de la porte de la cave. Et il aurait été plus horrible, en quelque sorte, d’être pris au piège là-bas, dans l'obscurité, si la femme finalement se frayait un chemin dans la maison et descendait les marches de la cave.
Il y avait également l'étage, mais pour y arriver ma mère aurait dû traverser la grande pièce — cette grande pièce où les coups pleuvraient à l'avenir, mais qui n'était pas si mal après que l’escalier aient été encloisonnées.
Je ne sais pas quand ma mère m’a raconté pour la première fois cette histoire, mais il me semble que c'était là que les premières versions s’arrêtaient — avec Mme Netterfield qui appuyait son visage et ses mains contre la vitre tandis que ma mère se cachait. Mais dans les versions ultérieures il y a une fin après le seul regard. L’impatience ou la colère ont pris place, puis le cliquetis et le claquement sont arrivés. Aucune mention d’un cri. La vieille femme n’avait peut-être pas le souffle pour le faire. Ou peut-être qu'elle avait oublié ce pour quoi elle était venue, une fois ses forces épuisées.
Quoi qu'il en soit, elle a renoncé, c'est tout ce qu'elle a fait. Après avoir fait le tour des fenêtres et des portes, elle s'en est allée. Ma mère a finalement eu le courage de regarder autour et a conclu que Mme Netterfield était partie ailleurs.
Elle n'a cependant pas retiré le fauteuil de la poignée jusqu'à ce que mon père rentre à la maison .
Je ne veux pas dire que ma mère parlait souvent de cela. Ça ne faisait pas partie du répertoire que j'ai appris à connaître et, pour la plupart, trouvé intéressant : son combat pour se rendre à l'école secondaire, l'école où elle enseignait, en Alberta, et où les enfants arrivaient à cheval, les amis qu'elle avaient à l'École normale, les tours innocents qui se jouaient.
Je pouvais toujours deviner ce qu'elle disait. J'étais son interprète quand les autres ne le pouvaient pas, et parfois j'étais pleine de détresse quand je devais répéter des phrases élaborées ou ce qu'elle pensait être des plaisanteries, et que je pouvais voir que les gens mouraient d’envie de partir . La venue en visite de la vieille Mme Netterfield, comme elle l'appelait, n'a jamais été quelque chose dont j’aurais été obligée de parler. Mais je dois avoir été au courant depuis longtemps. Je me souviens de lui avoir demandé à un moment donné si elle savait ce qu'il était advenu de la femme par la suite.
« Ils l'ont emmenée », dit-elle. « On ne l'a pas laissé mourir seule. »
Après mon mariage et mon déménagement à Vancouver, je recevais toujours l'hebdomadaire publié dans la ville où j'avais grandi. Je pense que quelqu'un, peut-être mon père et sa seconde épouse, avaient fait en sorte que j'aie un abonnement. Souvent, je le regardais à peine, mais une fois, je l'ai fait, et j'ai vu le nom de Netterfield. Ce n'était pas le nom de quelqu'un qui vivait en ville à l'heure actuelle, mais c’avait apparemment été le nom de jeune fille d'une femme de Portland, en Oregon, qui avait écrit une lettre au journal papier. Cette femme, comme moi , avait encore un abonnement au journal de sa ville natale , et elle avait écrit un poème sur son enfance.
Je sais une colline herbeuse
Au-dessus d'une rivière claire
Un lieu de paix et de plaisir
Un souvenir très cher –
Il y avait plusieurs strophes, et en le lisant j'ai commencé à comprendre qu'elle parlait des mêmes battures dont j'avais pensé qu’elles m'appartenaient.
« Les lignes que je joins ont été écrites à partir de souvenirs de cette ancienne colline », disait-elle. « S'ils sont dignes d'un peu d'espace dans votre journal respectable, je vous remercie. »
Le soleil sur la rivière
Avec des étincelles incessantes joue
Et en face sur l'autre rive
Il y a des fleurs sauvages et gaies–
C'était notre rive. Ma rive. Une autre strophe portait sur un pied d'érable. Je crois qu'elle s’en souvenait mal, c’étaient des ormes, qui étaient tous morts de la maladie hollandaise de l’orme[6] depuis.
Le reste de la lettre rendait les choses plus claires. La femme disait que son père —qui se nommait Netterfield— avait acheté un lopin de terre auprès du gouvernement en 1883, dans ce qui s’appela plus tard la Basse-Ville. Le terrain descendait vers la rivière Maitland.
À travers le cours d’eau bordé d’iris
s’étend l'ombre des érables
Et, sur le champ terraqué de la rivière,
des oies blanches sont nourries en troupeaux.
Elle avait laissé de côté, tout comme je l'aurais fait, la façon dont la source était troublée et souillée tout autour par les sabots des chevaux. Et par le fumier.
En fait, j'avais fait quelques poèmes moi-même, de nature très semblable, bien qu'ils aient aujourd’hui disparu, et que peut-être ils n'aient jamais été écrits. Des vers qui chantaient la nature, et puis qui étaient un peu difficiles à boucler. Je les aurais composés juste à l'époque où j'étais si intolérante face à ma mère et où mon père faisait la chasse à la méchanceté en moi. Ou me battait comme plâtre[7], comme les gens disaient en riant à l'époque.
Cette femme disait qu'elle était née en 1876. Elle avait passé sa jeunesse, jusqu'à ce qu'elle se marie, dans la maison de son père. C'est là où la ville prenait fin et où débutaient les terres agricoles, et elle était exposée au couchant.
Notre maison.
Est-il possible que ma mère n'ait jamais su cela, n'ait jamais su que notre maison était l’endroit où la famille Netterfield avait vécu et que la vieille femme regardait par les fenêtres de ce qui avait été sa propre maison ? C'est possible.
En prenant de l’âge, je suis devenue assez intéressée aux archives, et à l'entreprise fastidieuse de rechercher les références, et j'ai constaté que cette maison a appartenu à plusieurs familles différentes entre le moment où les Netterfield ont vendu et le moment où mes parents ont emménagé. Vous pourriez vous demander pourquoi elle avait été liquidée, alors que cette femme avait encore des années à vivre. Était-elle restée veuve, à court d'argent ? Qui sait ? Et qui est venu et l'a emmenée, comme disait ma mère ? C'était peut-être sa fille, cette même femme qui écrivait des poèmes et qui vivait en Oregon. Peut-être que cette fille, adulte et lointaine, était ce qu’elle cherchait dans le landau Juste après ma mère m’avait attrapée, disait-elle, comme si ma vie en dépendait[8].
La fille ne vivait pas si loin de chez moi, dans ma vie d'adulte. J’aurais pu lui écrire, peut-être lui rendre visite. Si je n'avais pas été tellement occupé avec ma propre petite famille et ma propre écriture invariablement déchirée, si je n'avais pas été si sévère, en tout cas, envers les efforts littéraires et les sentiments qui étaient les siens. Mais elle aurait pu ne pas être heureuse d'entendre ce que je lui aurais dit. La personne à qui j’aurais vraiment aimé parler alors c'était ma mère, qui n'était plus disponible.
Je ne suis pas revenue à la maison pour l’ultime maladie de ma mère ni pour son enterrement. J’avais deux petits enfants et personne à Vancouver à qui les laisser. Nous aurions à peine pu nous payer le voyage, et mon mari tenait tout comportement formel dans le mépris, mais pourquoi le lui reprocher ? J'ai ressenti la même chose. Nous disons de certaines choses qu'elles ne peuvent pas être pardonnées, ou que nous ne les pardonnerons jamais nous-mêmes. Mais en fait, nous le faisons tout le temps.
Quand ma mère était mourante, elle est sortie comme elle a pu de l'hôpital, dans la nuit, et elle a erré dans la ville jusqu'à ce que quelqu'un qui ne la connaissait pas du tout la repère et la ramène. Si c’était du roman, comme je le disais, ce serait en faire de trop, mais c'est vrai.
Le texte original est sur http://www.newyorker.com/reporting/2011/09/19/110919fa_fact_munro?printable=true¤tPage=all#ixzz2hOcXWO5M
Si vous trouvez des erreurs, merci de me les signaler ….note du traducteur
[1] Une acre = 4000 m2 env.
[2] Anne... la maison aux pignons verts (Anne of Green Gables) est un roman écrit en 1908 par l'auteure canadienne Lucy Maud Montgomery. Initialement destiné à des lecteurs de tous âges, le roman est depuis quelques décennies, considéré comme un livre pour enfants. Pat of Silver Bush (1933) du même auteur, raconte l’histoire Patricia Gardiner, qui déteste le changement quel qu’il soit et qui aime sa maison, Silver Bush, plus que tout au monde. d’après Wikipedia.
[3] Cedar au Canada : probablement du red Cedar, c’est-à-dire du thuya.
[4] Gens Indépendants, 1934-1935, en islandais Sjálfstætt fólk est un roman de Halldór Laxness, (1902-1998) prix Nobel de littérature 1955traduction française de Régis Boyer, Fayard, 2004.
[5] Buckle down to work" originally meant a knight buckling down all of his armor before a battle.
à l'origine un chevalier qui ceint toute son armure avant la bataille. Source : Mental_floss
[6] La graphiose, aussi nommée « maladie hollandaise de l'orme », est une maladie fongique de l'orme vraisemblablement d'origine asiatique, qui est apparue en 1919 pour la première fois aux Pays-Bas (d'où son nom) et dans le nord de la France, puis s'est développée dans toute l'Europe. Son introduction en Amérique du Nord (États-Unis puis Canada) en 1928 provoque de très graves dégâts sur l'orme américain qu'elle détruit sur des surfaces considérables. Vers 1970, une nouvelle souche encore plus agressive fut introduite en Europe à la faveur d'importations de grumes. (Wikipedia)
[7] "Beat the tar out of" is thought to have come from sheep farmers, who would slather tar on a sheep's cut when it got nicked from shearing. Later, they would have to beat the tar out. Littéralement, faire sortir le goudron au bâton ; l’expression viendrait des éleveurs de moutons, qui barbouillaient du goudron sur la blessure d'un mouton entaillé lors de la tonte. Par la suite, il leur faudrait extraire le goudron. http://mentalfloss.com/article/20555/quick-10-origins-10-curious-phrases#ixzz2iZ9iw4hj
[8] comme si ma vie en dépendait traduit for dear life, formule qui évoque le titre de la nouvelle.