Incipit-Bulle de Jean-Ollivier
Pour cette fin d'année, je vous propose l'incipit-bulle que Jean-Ollivier a eu la gentillesse de me faire parvenir. Il s'agit de retrouver le nom de ce poète et romancier européen. Notons que la traduction ci-dessous est celle de Jean-Ollivier, ce qui ajoute beaucoup au charme du jeu. Merci encore à lui.
Je vous propose après ce poème, et en reprenant une idée de Paul Edel, ce qu'écrivait, dans son journal, un autre écrivain de la même nationalité que celui de Jean-Ollivier, à la date du 24 décembre 1945.
Je vous souhaite, à toutes et tous, une très heureuse fin d'année...
" La neige tombe doucement en poudreuse du ciel
Un cavalier devant Djellalahbad s’arrête,
« Qui va là ? »— « Un de la cavalerie britannique
J’apporte un message d’Afghanistan. »
Afghanistan ! il le disait si faiblement
Se presse autour du cavalier la moitié de la ville
Sir Robert Sale, le Commandant
Lui prête la main pour descendre de cheval.
Ils le mènent dans un poste de garde en pierre
Ils le font asseoir près de la cheminée
Comme le feu le réchauffe, comme la lumière le réconforte
il va chercher son souffle, remercie et parle :
« Nous étions treize mille hommes
À démarrer notre chemin de Kaboul.
Soldats, guides, femmes et enfants
Glacés, abattus, trahis
Dispersée est notre armée entière.
Ce qui survit erre dehors dans la nuit alentour
À moi Dieu a accordé le salut.
Voyez s’il est possible de sauver le reste. »
Sir Robert a grimpé sur la muraille du fort
Les officiers, les soldats tous l’ont suivi
Sir Robert parla : « La neige tombe épaisse
Ceux qui nous cherchent ne peuvent nous trouver.
Ils errent en aveugles et sont si près de nous
Qu’on leur fasse entendre que nous sommes là
Chantez un chant du pays natal, bien de chez nous,
Trompettes, résonnez dans la nuit du dehors ! »
Ils commencèrent et sans ressentir la fatigue
Au travers de la nuit résonne chant après chant,
D’abord des chansons anglaises d’un ton joyeux
Puis des chants des Highlands, comme des plaintes
Ils ont joué la nuit et le jour suivant
Fort, comme seul l’amour peut donner la voix
Ils ont joué, et puis est venue la seconde nuit.
C’est en vain que vous criez, en vain que vous regardez.
Ceux qui devaient entendre, ils n’entendent plus
L’armée entière est anéantie
Des treize mille à prendre le chemin
Un seul est rentré chez lui d’Afghanistan."
"24 décembre 1945.
Lorsqu'on passe sur l'une de nos grand-routes, on peut tomber sur des figures humaines telles qu'on n'en avait jamais vu. Ce sont les captifs qui reviennent des camps, avec leur aura grisâtre des souffrances ultimes. On leur a infligé tout ce qui peut nous être infligé par des hommes, et les a dépouillés de tout ce que des hommes peuvent vous ravir. Ce sont les messagers de lieux où d'innombrables victimes ont subi, au point d'en mourir, la torture, la faim, le froid, et les derniers outrages.
J'ai rencontré l'un de ces fantômes aujourd'hui, près de B.; on ne lui avait rien laissé qu'un sarrau de toile grise à travers lequel sifflait le vent du nord. Il devait venir de loin, et il passait sans détourner le regard, comme une ombre.
Pourquoi n'ai-je pu lui adresser la parole aujourd'hui, soir de Noël, comme je l'ai fait avec tant d'autres? Etait-il si monstrueusement loin de moi?"