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L'astragale de Cassiopée
23 novembre 2013

Variations Goldman (3) : éloge de la guerre prématurée (In praise of premature war)

éloge de la guerre prématurée (In praise of premature war)

Spengler (2004)

L'Occident devrait être reconnaissant au président américain George W. Bush d’être un guerrier qui tire d’abord et qui dit à la Central Intelligence Agency (CIA ) de poser des questions après. Au cours de sa longue histoire l'Occident a rarement souffert de partir en guerre trop tôt. Au contraire, de toutes les guerres de l'histoire en Occident, les plus sanglantes ont été celles qui ont commencé trop tard. Pourquoi est-ce le cas ? La réponse, je crois, est que le maintien de la paix exige des belligérants potentiels de maintenir l'équilibre des forces, par exemple entre Athènes et Sparte au 5ème siècle avant JC, entre états catholiques et protestants au 17ème siècle, et entre les puissances centrales et les Alliés à la fin du 20ème siècle. Une fois les forces vraiment équilibrées, cependant, aucun des deux camps ne peut gagner, si ce n'est par une guerre d’usure dévastatrice, une guerre d'attrition[1]. reporter la guerre crée donc des blocs opposés de force égale qui finiront par s’anéantir l'un l’autre.

Plus que jamais, ce principe s'applique à la présente course aux armements nucléaires. Cela me rappelle la vieille plaisanterie de la femme au foyer dans le Hertfordshire qui téléphone à son mari et lui dit: « Chéri, fais attention en conduisant pour rentrer à la maison. On annonce qu'il ya un fou qui roule dans le mauvais sens sur l'autoroute ». Celui-ci répond: « Qu’est-ce que tu racontes, un fou ? Ils roulent tous dans le mauvais sens ! »

Que Saddam Hussein ait réellement eu ou non l'intention ou la capacité de fabriquer des armes nucléaires est négligeable dans l'équilibre stratégique . Tout le monde a l'intention de construire des armes nucléaires. Elles nécessitent une technologie qui date de soixante ans et qui n'est plus difficile à reproduire. Par où on commence importe peu. « Tuez le poulet, et laissez le singe regarder », comme disent les Chinois. Mouammar Kadhafi en Libye, les théocrates de l'Iran, la Corée du Nord et bientôt un nombre incalculable d’autres réprouvés s ont ou auront ces plans. Il importe peu Lequel attaquer d'abord importe peu, dès lors qu’on en attaque un.

Mais n'est-ce pas cruel de se décider pour la guerre avant qu'il ne soit hors de doute que la guerre ne pourra pas être évitée ? Compte tenu du coût effroyable de la guerre, ne doit-on pas donner toutes ses chances à la paix ? Certaines guerres bien sûr ne doivent pas être menées, comme la guerre chaude qui menaçait entre les États- Unis et l'Union soviétique. Dans de nombreux cas, cependant, le risque et le bénéfice sont très asymétriques ; le coût d'une petite guerre courte et cruelle tend vers l'insignifiance face au prix d'une grande guerre d'usure, en particulier lorsque les armes nucléaires entrent en jeu.

Beaucoup d'écrivains, bien sûr, ont fait l’apologie de la guerre. Sous le titre « Donnez à la guerre une chance », Edward Luttwak a écrit dans l'édition de l'été 1999 de Foreign Affairs, « Depuis la création de l'Organisation des Nations Unies, les grandes puissances ont laissé rarement petites guerres se consumer. La Bosnie et le Kosovo sont les derniers exemples de cette ingérence. Les conflits sont interrompus par un flot continu de cessez-le feu et d’armistices qui ne font que retarder l'épuisement provoqué par la guerre en laissant les belligérants réarmer et se regrouper. Pires encore sont les opérations de secours aux réfugiés de l'ONU et des ONG qui maintiennent les populations dans des camps ressasser leur ressentiment et parfois alimenter les deux côtés dans les conflits armés. Cette interférence bien intentionnée ne fait qu’intensifier et à prolonger durablement les conflits. La vérité désagréable est que la guerre a réellement une fonction utile : elle apporte la paix. Laissez-la [faire] ».

Je n'ai rien à redire à ce qu’écrit Luttwak, mais je propose d'aller plus loin. Il propose de laisser les petites guerres brûler jusqu’à s’éteindre, je propose de laisser les grandes guerres éclater, le plus tôt étant le mieux.

Les historiens reconnaissent que les Alliés auraient dû attaquer l'Allemagne en 1936 plutôt qu’en 1939, mais ils traitent la Première Guerre mondiale de « conflit tragique et inutile », selon les mots de Sir John Keegan. La tragédie découle de la nécessité. À partir du Congrès de Berlin de 1878, où l'Allemagne et l'Autriche fixent les limites de l'expansion russe dans les Balkans, le panslavisme va mettre l'Europe sur la voie inévitable de la guerre. La France s’allie à la Russie, cherchant de l'aide contre l'Allemagne après son humiliation dans la guerre franco-prussienne de 1871. Déjà en déclin démographique, la France savait qu'elle ne pouvait pas attendre la prochaine génération pour attaquer l'Allemagne. L’Allemagne savait que si la Russie menait à bonne fin son réseau de chemins de fer sa masse pourrait rendre invincible à la génération d’après.

Si Kaiser Wilhelm II avait eu le culot de déclarer la guerre à la France pendant la crise Maroc en 1905, le plan d' invasion du comte Alfred von Schlieffen aurait écrasé les Français dans les semaines suivantes. La dynastie des Romanov en Russie, humiliée par sa défaite dans la guerre russo-japonaise et en proie à la révolte populaire, aurait probablement chuté dans des circonstances plus bénignes que celles qui prévalurent en 1917. L’Angleterre n'avait pas décidé d'une alliance avec la coalition franco-russe en 1905. La course aux armements navals entre l'Allemagne et l'Angleterre, une source majeure de tension, n’était pas encore patente. La guerre en 1905 aurait laissé à la seule Allemagne de Guillaume l’hégémonie en Europe, sans challenger potentiel avant un certain temps. L'indécision de l'Allemagne laisse les mains libres à la Russie, dont des éléments des services secrets vont soutenir les terroristes serbes qui ont assassineront le prince héritier d'Autriche en 1914, forçant l'Allemagne à la guerre dans des circonstances beaucoup moins favorables.

Les deux guerres mondiales du 20ème siècle, à mon avis, ont commencé trop tard, avec des conséquences catastrophiques pour l'Europe de l'Ouest. Guerre de Sécession, en revanche, est une guerre qui a commencé juste à temps, et j'attribue la future éclosion des États-Unis à Abraham Lincoln qui a poussé sans pitié le pays dans la guerre.

Le général Ulysses S. Grant, le commandant en chef des Nordistes et futur président, a écrit dans ses mémoires que la guerre civile a commencé en 1846 avec l'invasion du Mexique par l'Amérique, qui s'est emparée de territoire[2] (seized territory) pour permettre l'expansion de l'esclavage. Comme le coton détruit la terre en une décennie, la caste des propriétaires d’esclaves rendait nécessaire la perpétuelle expansion du système esclavagiste dans de nouveaux territoires. La Confédération sudiste prévoyait de marcher vers le sud et de créer un empire d'esclaves au Mexique et dans les Caraïbes (Happy birthday, Abe - pass the blood, February 10, 2004 Asia Times)

Fut-ce une coïncidence que la France, l'Angleterre et l'Espagne se sont déterminées à envahir le Mexique après que Benito Juarez eut suspendu le service de la dette envers les créanciers européens du Mexique en 1861, tout juste au début de la guerre de Sécession? Les forces françaises, anglaises et espagnoles débarquèrent au Mexique en décembre 1861 après que les premières victoires des Sudistes dans la guerre de Sécession eurent convaincu les gouvernements européens que les propriétaires d'esclaves auraient la victoire. Dès 1862, après le succès de Stonewall Jackson dans la vallée de Shenandoah, l’Angleterre a été à deux doigts de reconnaître la Confédération. En octobre de la même année, William Gladstone, alors chancelier de l'Échiquier, a déclaré: « Nous pouvons prévoir avec certitude le succès des États du Sud à ce jour en ce qui concerne leur séparation d'avec le Nord » La demi-victoire de l’Union lors de la bataille d'Antietam en septembre se produisit juste à temps pour interrompre la reconnaissance du Sud britannique.

Si la guerre avait éclaté deux ans plus tard, les puissances européennes auraient déjà été fermement installées au Mexique, fournissant au Sud un allié naturel contre le gouvernement Lincoln, et une base à partir de laquelle le système esclavagiste pourrait s'étendre vers le sud. L'Amérique aurait été coupée en deux (au moins) , et l'histoire du monde aurait été radicalement différente et radicalement pire.

Avant l'invasion américaine de l'Irak , j'écrivais : « le programme nucléaire de l'Irak est l'équivalent au 21e siècle des chemins de fer de la Russie en 1914. Les États-Unis doivent empêcher Saddam Hussein de fabriquer des armes nucléaires maintenant, ou bien le coût à payer pour l'arrêter (lui et d'autres à l'avenir) sera incalculable. L'ennui, c'est que les Arabes d'aujourd'hui (et dans une grande mesure les autres populations islamiques) sont dans la position des Slaves en 1914. C’est une culture en voie d’extinction, et comme beaucoup de cultures en voie d’extinction, les extrémistes parmi eux prendront des mesures désespérées » (Asia Times le 29 Octobre 2002, lien brisé) .

C'est pourquoi George W. Bush a mon soutien moral lors de la prochaine élection présidentielle américaine. Il peut ne pas mesurer ce qu'il fait, et il peut avoir fait de sa politique en Irak de la bouillie pour les chats (a dog's breakfast), mais au moins il est prêt à entrer tout droit en guerre, sans [se] poser de questions . C'est précisément ce dont le monde a besoin.



[1] Lors d'une guerre, une stratégie d'attrition est une stratégie dans laquelle l'objectif est d'user les forces combattantes et les réserves ennemies, plutôt que la progression en terrain ennemi ou la destruction/occupation d'objectifs ennemis. La bataille de Verdun est l'exemple le plus connu de mise en œuvre d'une stratégie d'attrition par l'État-Major allemand. ‘Wikipedia

[2] De territoire, du territoire, ou de territoires ? c’est l’occasion de rappeler la célèbre résolution 242 de l’ONU (withdraw from occupied territories, traduit par se retirer des territoires occupés)

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