Qu'ils reposent en paix....
Je ne souhaitais pas publier ce billet, de crainte d'assombrir le climat de ce blog. Les derniers événements de Toulouse et de Montauban m'incitent à le mettre en ligne. Qu'on y voie un hommage discret aux victimes.
Ni les nazis, ni les planificateurs de voirie n’auront pu s’attaquer au cimetière juif de Berlin-Weißensee – c'est le plus grand du genre encore en usage en Europe. Désormais, l’émouvant documentaire de cinéma « Im Himmel, unter der Erde — Au ciel sous la terre » présente ce lieu magique et ses visiteurs.
Il pleut de grosses gouttes sur les pierres. Un enfant joue avec son parapluie rouge vif. Le parapluie a des taches noires et des yeux exorbités – c’est une coccinelle. Un peu plus loin il y a un vieillard, il se mouche, et dépose de petits cailloux sur la tombe de sa femme. Une jeune fille en jupe courte et chaussettes jusqu’au genou semble rebondir au long d'une avenue en sautant par-dessus les flaques. Tout est calme, à part le bruissement des arbres. L'endroit semble sourire.
"Est-ce joyeux dans le cimetière? Non", dit le directeur du cimetière Ron Kohl. Puis il se met à rire. Le Documentaire de Britta Wauer «Dans le ciel, sous la terre" sur le cimetière juif de Weißensee n'est pas joyeux, mais il n’y a pas d’évocation pesante de la douleur grave. Le film, qui sort cette semaine (en 2011, note J-o) dans les cinémas allemands révèle le secret d'un lieu magique : un parc paisible avec des arbres centenaires, un jardin plein de noms - envahi d'un lierre qui recouvre le sol pour former un doux tapis de verdure. En ce lieu se déplacent des personnes, pour préserver de tendres souvenirs, sans sombrer dans la mélancolie.
«Je n'ai pas un cimetière, mais un musée», explique Kohl. Ce musée existe depuis 1880. 115 600 tombes racontent chacune une histoire : des mausolées magnifiques témoignent de la richesse de la communauté juive au 19ème siècle. Moins pompeuses, des pierres tombales listent des noms multiples portant la même date de décès - le jour du suicide d'une famille qui a reçu la lettre de déportation.
C'est le plus grand cimetière juif d'Europe encore en usage. Ni les nazis ni les aménageurs chargés de la politique de la voirie et des transports n’auront pu lui nuire. Les nazis avaient peur des fantômes qui gardaient la nécropole, et ne sont donc jamais entrés dans ce lieu consacré. Pendant des décennies, les planificateurs des transports de Berlin ont caressé le projet de faire passer une autoroute à six voies à travers le cimetière. Elle n'a jamais été construite.
Plein d’allant sous le portique
Beaucoup de visiteurs sont des généalogistes. Bernard Baruch Epstein a vécu de nombreuses années en Floride du Sud. Maintenant, il se rend avec sa femme à la travée C. Là reposent ses ancêtres. Il sanglote, ses mains ridées tremblent sur la pierre. "Grand-mère Helen, nous sommes venus te rendre visite. Grandpa ne peut pas venir te voir, il a été gazé à Auschwitz. Ton fils aîné, mon père est mort sur le front russe. Pourquoi suis-je encore vivant ? Qu’est-ce que j'ai fait de bien ou de mal? " demande-t-il en pleurant.
Ce sont ces personnes peu sophistiqués qui rendent ce film singulier. Ils divulguent à la fois leur douleur, leur vénération et un amour infini. Ou ils se rappellent leur enfance, qu’ils ont passée entre les murs protégés du cimetière: Harry Kindermann raconte les moments heureux de sa vie alors qu’il est guidé par un jardinier taciturne dans le cimetière. En 1927, il est venu au monde à Berlin. Son père était maçon sur les terrains du cimetière, et son fils jouait là avec les enfants des autres employés. C’est ainsi qu’il a rencontré son amour d'enfance Marion, avec qui il a passé plusieurs étés à Weißensee jusqu’à ce que Marion soit déportée.
À aucun moment ces documents ne sont fastidieux, nulle part ils ne semblent ternes ou compassés. Notamment à cause de la musique de Karim Sebastian Elias: légèrement mélancolique et très vivante, elle accompagne les images, comme elle pourrait sonoriser aussi bien des dessins d’enfants. Quand un rabbin de 82 ans, plein d’allant traverse un portique lumineux, en étirant ses doigts l’air tout joyeux, on sent que la scénariste et réalisatrice Britta Wauer sait rendre visible la magie. Et que peut-on faire pour se déprendre de la peur de la mort? Peut-être voir ce film, avec sa présentation pleine d’amour d'une forêt berlinoise, qui est plus porteuse d'histoire que bien des musées. Toujours est-il que c’est un mystère.
traduit de http://www.spiegel.de/kultur/kino/0,1518,755838,00.html
Dans le film, un poème passe un moment en surimpression. Le voici
Au Weißensee
Là où il y a les usines de céramique
-ronflement de moteur-
Tu peux voir un cimetière
Avec des murs tout autour.
Tout un chacun a ici son univers,
Un terrain.
un terrain qui s’appelle d'ailleurs n’importe comment
O ou I ....
Ils sont venus jusqu’ici de leur lit,
Des caves, des voitures et des toilettes,
Et plus d'un de la Charité
Au Weißensee
Au Weißensee
Qu’on en implante un nouveau ici
Selon la coutume pieuse,
Et alors beaucoup Vont venir se pointer-
c'est ce qui se fait.
L’harmonium joue adagio
- travée O-
la voiture attend- tarif trois
- travée Oeuf-
Un ecclésiastique n’arrive pas à lire son papier
Ni quel bon cœur il aura eu, ce fier banquier
qui l’écoute dans son cercueil
Au Weißensee
Au Weißensee
C'est là que je suis souvent allé,
à l'occasion d'un deuil,
C’est là que tu viendras, là que je viendrai
Une fois que ce sera fini.
Tu aimes. Tu voyages. Tu te réjouis, tu
-Travée U-
Ça attend in abstentia
Travée A.
L’heure tourne. Ta tombe a le temps,
Trois mètres de long, un mètre de large.
Tu verras encore trois quatre villes étrangères
Tu verras encore une fille nue
Encore vingt fois, trente fois la neige,
Et puis
Travée P -
Au Weißensee
Au Weißensee.
(traduction (en cours) les cahiers de l'estran)