Enigme de Miette
Merci à Miette de nous proposer ce texte. Miette ne m'a pas précisé qui en était l'auteur, ce qui me permettra de jouer. Le choix des images est également le sien.
" Il fixa ses yeux sur un sage, élevé au dessus des autres, qui discourait avec une grande force sur la manière de gouverner les passions. […] Il montra, avec une grande force de sentiment, et en variant ses preuves, que la nature humaine est dégradée et avilie, quand les facultés les plus basses prédominent sur les plus élevées ; que lorsque l’imagination, la mère de la passion, usurpe l’empire de l’esprit, il n’en résulte autre chose que l’effet naturel d’un gouvernement illégitime, l’agitation et la confusion ; qu’elle livre par trahison la forteresse de l’intelligence aux rebelles, et excite ses enfants à la sédition contre la raison, leur souveraine légitime. Il compara la raison au soleil, dont la lumière est constante, uniforme et durable ; et l’imagination à un météore dont l’éclat est brillant, mais passager, irrégulier dans ses mouvements, et trompeur dans sa direction.
Il communiqua alors les divers préceptes donnés de temps à autre pour dompter les passions, et s’étendit sur le bonheur de ceux qui avaient obtenu cette importante victoire, après laquelle l’homme cesse d’être l’esclave de la crainte ou le jouet de l’espérance ; il n’est plus miné par l’envie, enflammé par la colère, affaibli par la tendresse, ou abattu par la douleur ; mais il marche avec calme à travers l’agitation ou le repos de la vie, comme le soleil poursuit également sa course à travers un ciel calme ou orageux.
[…] Il exhorta ses auditeurs à mettre de côté leurs préjugés, et à s’armer contre les traits de la méchanceté ou de l’infortune, par une patience invincible ; et il termina en disant que cet état offrait seul le bonheur, et que ce bonheur était au pouvoir de tous.
[…]
« J’ai trouvé, dit X à son retour auprès d’Y, un homme qui enseigne tout ce qu’il est nécessaire de savoir ; […] Cet homme sera mon guide à l’avenir ; j’étudierai sa doctrine, et j’imiterai sa vie ».
— « Ne vous pressez pas trop, dit Y, d’accorder votre confiance ou votre admiration aux professeurs de morale ; ils parlent comme des anges, mais ils vivent comme des hommes ».
[…]
X lui rendit visite au bout de quelques jours, […] il pénétra dans l’appartement le plus reculé, où il trouva le philosophe dans une chambre plongée dans une demi-obscurité, les yeux embués de larmes, et le visage livide. « Monsieur, dit-il, vous venez dans un moment où toute l’amitié humaine est inutile ; on ne peut remédier à ce que je souffre ; on ne peut me rendre ce que j’ai perdu. Ma fille, ma fille unique, dont la tendresse me faisait espérer toutes les consolations de ma vieillesse, est morte de la fièvre, la nuit dernière. Mes vues, mes projets, mes espérances, n’existent plus. Je suis maintenant un être isolé détaché de la société. »
— « Monsieur, dit X, la mort est un événement dont un homme sage ne doit jamais être surpris ; nous savons que la mort est toujours près de nous, et que par conséquent nous devons toujours l’attendre ». — « Jeune homme, répondit le philosophe, vous parlez comme quelqu’un qui n’a jamais senti les tourments d’une séparation ». —« Avez-vous donc oublié, dit X, les préceptes que vous avez débités avec tant de force ? La sagesse n’a-t-elle pas de moyens pour armer votre cœur contre l’infortune ? Considérez que les choses extérieures sont naturellement variables, mais que la vérité et la raison sont toujours les mêmes ». —« Quelle consolation, dit l’affligé, la vérité et la raison peuvent-elles me procurer ? Quel peut être actuellement leur effet, sinon de me dire que ma fille ne me sera pas rendue ? »
X, à qui son humanité ne permettait pas d’insulter au malheur par le reproche, se retira convaincu du vide des phrases de la rhétorique, et de l’inefficacité des périodes brillantes, et des maximes étudiées."