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L'astragale de Cassiopée
1 mars 2011

Enigme de Miette

Merci à Miette de nous proposer ce texte. Miette ne m'a pas précisé qui en était l'auteur, ce qui me permettra de jouer. Le choix des images est également le sien.

 

ERJS

 

" Il fixa ses yeux sur un sage, élevé au dessus des autres, qui discourait avec une grande force sur la manière de gouverner les passions. […] Il montra, avec une grande force de sentiment, et en variant ses preuves, que la nature humaine est dégradée et avilie, quand les facultés les plus basses prédominent sur les plus élevées ; que lorsque l’imagination, la mère de la passion, usurpe l’empire de l’esprit, il n’en résulte autre chose que l’effet naturel d’un gouvernement illégitime, l’agitation et la confusion ; qu’elle livre par trahison la forteresse de l’intelligence aux rebelles, et excite ses enfants à la sédition contre la raison, leur souveraine légitime. Il compara la raison au soleil, dont la lumière est constante, uniforme et durable ; et l’imagination à un météore dont l’éclat est brillant, mais passager, irrégulier dans ses mouvements, et trompeur dans sa direction.

Il communiqua alors les divers préceptes donnés de temps à autre pour dompter les passions, et s’étendit sur le bonheur de ceux qui avaient obtenu cette importante victoire, après laquelle l’homme cesse d’être l’esclave de la crainte ou le jouet de l’espérance ; il n’est plus miné par l’envie, enflammé par la colère, affaibli par la tendresse, ou abattu par la douleur ; mais il marche avec calme à travers l’agitation ou le repos de la vie, comme le soleil poursuit également sa course à travers un ciel calme ou orageux.

[…] Il exhorta ses auditeurs à mettre de côté leurs préjugés, et à s’armer contre les traits de la méchanceté ou de l’infortune, par une patience invincible ; et il termina en disant que cet état offrait seul le bonheur, et que ce bonheur était au pouvoir de tous.

[…]

« J’ai trouvé, dit X à son retour auprès d’Y, un homme qui enseigne tout ce qu’il est nécessaire de savoir ; […] Cet homme sera mon guide à l’avenir ; j’étudierai sa doctrine, et j’imiterai sa vie ».

— « Ne vous pressez pas trop, dit Y, d’accorder votre confiance ou votre admiration aux professeurs de morale ; ils parlent comme des anges, mais ils vivent comme des hommes ».

[…]

booth4

X lui rendit visite au bout de quelques jours, […] il pénétra dans l’appartement le plus reculé, où il trouva le philosophe dans une chambre plongée dans une demi-obscurité, les yeux embués de larmes, et le visage livide. « Monsieur, dit-il, vous venez dans un moment où toute l’amitié humaine est inutile ; on ne peut remédier à ce que je souffre ; on ne peut me rendre ce que j’ai perdu. Ma fille, ma fille unique, dont la tendresse me faisait espérer toutes les consolations de ma vieillesse, est morte de la fièvre, la nuit dernière. Mes vues, mes projets, mes espérances, n’existent plus. Je suis maintenant un être isolé détaché de la société. »

— « Monsieur, dit X, la mort est un événement dont un homme sage ne doit jamais être surpris ; nous savons que la mort est toujours près de nous, et que par conséquent nous devons toujours l’attendre ». — « Jeune homme, répondit le philosophe, vous parlez comme quelqu’un qui n’a jamais senti les tourments d’une séparation ». —« Avez-vous donc oublié, dit X, les préceptes que vous avez débités avec tant de force ? La sagesse n’a-t-elle pas de moyens pour armer votre cœur contre l’infortune ? Considérez que les choses extérieures sont naturellement variables, mais que la vérité et la raison sont toujours les mêmes ». —« Quelle consolation, dit l’affligé, la vérité et la raison peuvent-elles me procurer ? Quel peut être actuellement leur effet, sinon de me dire que ma fille ne me sera pas rendue ? »

X, à qui son humanité ne permettait pas d’insulter au malheur par le reproche, se retira convaincu du vide des phrases de la rhétorique, et de l’inefficacité des périodes brillantes, et des maximes étudiées."

 

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Commentaires
H
Merci d'avoir joué Clopine. Pas mal en effet. Pour le reste, il existe bien un moyen simple. C'est de passer nous voir régulièrement. ;o)
C
Zut ! Je n'avais pas trouvé le non mais...<br /> <br /> `Chic ! J'avais tout bon sur le reste : l'époque, la nationalité de l'auteur, le genre du texte dont était tiré l'extrait...<br /> <br /> Je m'accorde en toute immodestie un 15/20. Si j'avais lu, et donc connu autrement que par son nom Samuel Jonhson, j'aurais peut-être pu grimpé jusqu'à 18 !<br /> <br /> Merci Miette en tout cas !<br /> <br /> Clo
C
Et, par un effort surhumain, je ne REGARDE PAS LES AUTRES COMMENTAIRES, qui doivent bien évidemment donner la réponse de l'énigme. <br /> <br /> Donc, jouons toute seule comme une grande.<br /> <br /> A la première lecture, le style, les préoccupations : le 18è siècle, sans aucun doute. On pense à Voltaire, Diderot (Rousseau serait sans doute plus optimiste). IL s'agit là, avant tout, d'un récit à portée morale, qui se moque de la prétention philosophique d'offrir une consolation raisonnée à un malheur qui vous frappe. Pangloss n'est pas loin, Candide non plus. <br /> <br /> Cependant, la langue ici me paraît plus "épaisse" que celle de Voltaire. Plus démonstrative, moins légère, moins sarcastique aussi. Du coup, je pencherais pour une traduction - de l'anglais, bien sûr, vu l'époque ce ne peut guère être un américain qui écrive cela. <br /> <br /> Donc, si je résume, un auteur masculin, anglais peut-être, moraliste sûrement, de la fin du 18è siècle, pragmatique - et une sorte de récit initiatique, où l'on forme un jeune homme candide à l'aide d'exemples bien concrets.<br /> <br /> Swift ? <br /> <br /> Bon, je clique, et puis je remonte les com'.<br /> <br /> En fait, ce que j'aimerais bien, c'est être prévenue de suite quand l'aimable hôte de ces lieux met en ligne une de ses énigmes - ça m'éviterait d'arriver avec la voiture balai. Y'a-t-il une possibilité ? <br /> <br /> Et puis, même si j'ai faux, j'adore jouer à ce jeu-là...<br /> <br /> Merci donc<br /> Clopine
H
Vous ne trouvez pas les moralistes habituellement attachants? <br /> Je pense qu'aujourd'hui, le deuil d'un enfant est bien pris en compte par les professionnels. Reste l'entourage qui peut (qui est bien souvent) très foireux. Mais oui, le côté "un de perdu, dix de retrouvé" s'est quasi appliqué aux enfants décédés...<br /> <br /> Miette, merci à vous d'avoir envoyé un texte. J'espère que vous réitérerez l'expérience.
M
Oui, Harmonia, moi non plus je n'aime pas ce que Jankélévitch appelle "l'escamotage de la tragédie" … <br /> Ici le texte nous présente une optique douloureuse, celle de la mort "en deuxième personne", la mort du proche: "c'est l'inconsolable qui pleure l'irremplaçable" — ou comme il dit encore "contre l'interchangeabilité des troisièmes personnes s'inscri[t] en faux […] l'inestimable haecceité de la deuxième personne"; l'être qui est mort "est littéralement unique dans toute l'histoire du monde" (La Mort, pp. 28-29)<br /> On retrouve à travers ce texte ce qui a été évoqué récemment ailleurs à propos de Job (comme si des enfants nés plus tard pouvaient remplacer ceux qui sont morts au début de l'histoire de ses malheurs), et cette unicité poignante (à laquelle le poète G.M. Hopkins était si attaché). Mais rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger ici ce que je n'ai pas pu développer ailleurs ! <br /> Je ne prétends pas que des références savantes soient indispensables ; les parents qui se sont entendu dire "allons, allons, il ne faut pas pleurer, vous en referez d'autres" ou bien "heureusement que vous avez une famille nombreuse, c'est quand même moins dur" en connaissent long dans ce domaine sans avoir lu ni Johnson, ni Hopkins ni Jankélévitch. <br /> <br /> S. Johnson, chantre du néo-classicisme et chrétien fervent, était hanté par une double peur: celle de la folie et celle de la mort. Il ne supportait pas de rester seul, il lui fallait des gens autour de lui pour parler, parler le pus tard possible dans la nuit (heureusement sa conversation était étincelante) — comme aurait pu dire Proust : "le côté Stanley Kubrick de Samuel Johnson"!). <br /> C'est peut-être cela qui fait de lui un moraliste qui reste lisible aujourd'hui, allez je tente ce qui paraîtra un alliage d'incompatibles à beaucoup: un moraliste attachant. Intransigeant, mais sans illusions sur lui-même, capable d'auto-dérision. Ne prenant pas la pose en position de surplomb. <br /> J'aime BEAUCOUP Samuel Johnson — et Jankélévitch !<br /> <br /> Au revoir à tous et merci de votre patience.
L'astragale de Cassiopée
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