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L'astragale de Cassiopée
16 janvier 2010

Incipit-bulle du dimanche

1.

g5br

" Tout ce pays était surprenant, marqué d'un caractère de grandeur presque religieuse et de désolation sinistre.

Au milieu d'un vaste cercle de collines nues, où ne poussaient que des ajoncs, et, de place en place, un chêne bizarre tordu par le vent, s'étendait un vaste étang sauvage, d'une eau noire et dormante, où frissonnaient des milliers de roseaux.

Une seule maison sur les bords de ce lac sombre, une petite maison basse habitée par un vieux batelier, le père J, qui vivait du produit de sa pêche. Chaque semaine il portait son poisson dans les villages voisins, et revenait avec les simples provisions qu'il lui fallait pour vivre.

Je voulus voir ce solitaire, qui m'offrit d'aller lever ses nasses. Et j'acceptai.

Sa barque était vieille, vermoulue et grossière. Et lui, osseux et maigre, ramait d'un mouvement monotone et doux qui berçait l'esprit, enveloppé déjà dans la tristesse de l'horizon.

Je me croyais transporté aux premiers temps du monde, au milieu de ce paysage antique, dans ce bateau primitif que gouvernait cet homme d'un autre âge.

Il leva ses filets, et il jetait les poissons à ses pieds avec des gestes de pêcheur biblique. Puis il me voulut promener jusqu'au bout du marécage, et soudain j'aperçus, sur l'autre bord, une ruine, une chaumière éventrée dont le mur portait une croix, une croix énorme et rouge, qu'on aurait dit tracée avec du sang, sous les dernières lueurs du soleil couchant."

2.

Summer_20Day_20Berthe_20Morisot

"Les dîneurs entraient lentement dans la grande salle de l'hôtel et s'asseyaient à leurs places. Les domestiques commencèrent le service tout doucement, pour permettre aux retardataires d'arriver et pour n'avoir point à rapporter les plats; et les anciens baigneurs, les habitués, ceux dont la saison avançait, regardaient avec intérêt la porte chaque fois qu'elle s'ouvrait, avec le désir de voir paraître de nouveaux visages.

C'est là la grande distraction des villes d'eaux. On attend le dîner pour inspecter les arrivés du jour, pour deviner ce qu'ils sont, ce qu'ils font, ce qu'ils pensent. Un désir rôde dans notre esprit, le désir de rencontres agréables, de connaissances aimables, d'amours peut-être. Dans cette vie de coudoiements, les voisins, les inconnus, prennent une importance extrême. La curiosité est en éveil, la sympathie en attente, et la sociabilité en travail.

On a des antipathies d'une semaine et des amitiés d'un mois, on voit les gens avec des yeux différents, sous l'optique spéciale de la connaissance de ville d'eaux. On découvre aux hommes, subitement, dans une causerie d'une heure, le soir, après dîner, sous les arbres du parc où bouillonne la source guérisseuse, une intelligence supérieure et des mérites surprenants, et, un mois plus tard, on a complètement oublié ces nouveaux amis, si charmants aux premiers jours.

Là aussi se forment des liens durables et sérieux, plus vite que partout ailleurs!; on se voit tout le jour, on se connaît très vite; et dans l'affection qui commence se mêle quelque chose de la douceur et de l'abandon des intimités anciennes. On garde plus tard le souvenir cher et attendri de ces premières heures d'amitié, le souvenir de ces premières causeries par qui se fait la découverte de l'âme, de ces premiers regards qui interrogent et répondent aux questions et aux pensées secrètes que la bouche ne dit point encore, le souvenir de cette première confiance cordiale, le souvenir de cette sensation charmante d'ouvrir son coeur  à quelqu'un qui semble aussi vous ouvrir le sien.

Et la tristesse de la station de bains, la monotonie des jours tous pareils, rendent plus complète d'heure en heure cette éclosion d'affection."

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Commentaires
J
bien sûr. Et c'est aussi tout le discours des primes gauchistes et anarchistes en général, que celui de voir dans le capitalisme le dernier pas vers la révolution rendue inévitable par les excès mêmes dudit capitalisme.<br /> Avec les écologistes radicaux, même tendance: le capitalisme et son corollaire, le productivisme, sont allés si loin dans la destruction des biotopes qu'ils vont accoucher d'une révolution anti-productiviste. De l'art de se noyer dans ses déchets ...
H
@ Jibé. Se disant anarchiste tory, je crois qu'Orwell voulait sortir de l'affreuse dichotomie progressiste/réactionnaire par rapport à l'ancien régime ou à l'ancien tout court...<br /> Du progressisme de gauche qui voit dans le capitalisme l'avant dernière étape (indispensable) vers le radieux bonheur de tous (et la vie simple) et dont la progression, en même temps qu'une amélioration des conditions de vie, fabrique la corde avec laquelle le "peuple" pourra pendre les capitalistes sans s'apercevoir que le capitalisme est tout à fait susceptible de ne rien laisser après lui, et qu'il dissout jusqu'à la possibilité d'un peuple.<br /> Du réactionnaire de droite qui voit dans le capitalisme le dernier stade de l'humanité. Et son acmé réussie.<br /> Il se pose, en quelque sorte, de gauche réactionnaire comme les fondateurs du socialisme au XIXème siècle d'ailleurs...
H
Bonjour Jean-Ollivier. Cela m'a amusé aussi :o). Mais, ce qui m'a mis sur la voie, c'est cete façon qu'a Paul Edel de donner tellement d'indices en amont du texte qu'il n'y a même plus besoin de le lire pour avoir idée de l'auteur... Car le texte seul, je serais encore en train de ramer...<br /> Bàv
J
bonjour, ç'a ma amusé de voir que nous avons répondu à Paul Edel en même temps ; en tout cas, je n'avais pas vu votre com quand j'ai posté le mien, un peu codé pour faire durer le plaisir... en fait, j'avais remarqué que P E citait Audiberti quelque part sur un blog (Passou?); ç'a mis mis la puce à l'oreille
J
anarchiste tory, ça lui va comme un gant; il y a un anarchisme de droite, une distance, un anarchisme désabusé, ... le genre Orwell, je dirais bien.<br /> Je vais chez Zoë. (ce n'est pas la première fois)<br /> <br /> Pado, reposez-vous, le tours de la Défense sont comme ceux de passe-passe: des leurres, mais on peut s'y briser. De fatigue, au moins.
L'astragale de Cassiopée
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