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L'astragale de Cassiopée
11 novembre 2009

11 novembre 2009

Je dédie ce billet à :

Mon arrière grand-père Emile (1891-1989), blessé au visage par des éclats d'obus le 25 avril 1918 près de la frontière belge et futur "gueule cassée".

A sa femme Irène (1889-1987), mon arrière grand-mère (d'abord fiancée au frère d'Emile, Maurice, jusqu'à ce que ce dernier soit déclaré disparu pendant le conflit).

A leur fille unique, née en 1921, ma grand-mère Colette.

Sur une autre branche de l'arbre généalogique, à mon arrière-grand mère morte à moitié folle de chagrin en attendant, jour après jour, derrière la fenêtre de sa maison de bergers Corses, le retour de son fils aîné, déclaré disparu près de Bligny et dont nous n'avons, à ce jour, jamais retrouvé la moindre trace.

A mon grand-père Jean (1915-1997), mari de Colette et frère benjamin du fils ainé, qui a dû grandir en voyant sa mère "obsédée" par le retour d'un frère fantôme qu'il n'avait jamais connu.

Aux fils, filles, petits-fils, petites-filles, arrières petits-fils et arrières petites-filles des combattants de la Grande Guerre, Français, Allemands et de toutes nationalités.

A tous les morts, fantômes et spectres de ce conflit et aux vivants qui ont dû et/ou doivent faire avec.

Quelques lignes de Maurice Genevoix puis d'Erich Maria Remarque et un lien vers Brassens

Guerre

" Mardi 8 septembre (1914).

Ce matin, les ruines fument encore. La carcasse de pierre se dresse, toute noire sur le ciel limpide.

Les hommes ont le sommeil lourd. Au bord de la tranchée, il y a des plumes blanches, noires, rousses, des touffes de poils, des bouteilles vides. Je fais secouer tout le monde par les sergents. On entend, venant des bois à notre gauche, une fusillade qui par instants se fait violente. Derrière nous, une batterie de 120 tonne sans discontinuer. Et sur Rembercourt, à intervalles réguliers, des marmites éclatent en rafales, par six à la fois.

A midi, nous sortons des tranchées. Lentement, formés à larges intervalles, nous marchons vers la route qui va de Rembercourt à la Vauxmarie. Au long de la route d'Erize-la-Petite, des trous d'obus énormes crèvent les champs. La campagne est chauve, terne malgré l'intense lumière. Des chevaux crevés, ventre ouvert, pattes coupées, pourrissent au bas du talus, dans le fossé. Il y en a six, collés les uns aux autres, qui font un tas énorme de charogne dont la puanteur horrible stagne au fond du ravin. Beaucoup de caissons fracassés, roues en miettes, ferrures tordues.

Route de la Vauxmarie : nous attendons, couchés en tirailleurs dans le fossé, prêts à soutenir les nôtres qui se battent en avant.

Lorsque je me lève, je vois une grande plaine désolée, bouleversée par les obus, semée de cadavres aux vêtements déchirés, la face tournée vers le ciel ou collée dans la terre, le fusil tombé à côté d'eux. La route monte, à droite, vers les bords d'une cuvette, d'une blancheur crue qui fait mal aux yeux. Loin devant nous, des sections, en colonne d'escouades par un, restent immobiles, terrées, à peine visibles. Elles sont en plein sous les coups de l'artillerie allemande.

Les lourdes marmites, par douzaines, achèvent de ravager les champs pelés. Elles arrivent en sifflant, toutes ensemble ; elles approchent, elles vont tomber sur nous. Et les corps se recroquevillent, les dos s'arrondissent, les têtes disparaissent sous les sacs, tous les muscles se contractent dans l'attente angoisée des explosions instantanément évoquées, du vol ronflant des énormes frelons d'acier. Mais je vois, tandis que le sifflement grandit encore vers nous, des panaches de fumée noire s'écheveler à la crête ; presque aussitôt, le fracas des éclatements nous assourdit. Chaque fois qu'un obus tombe, c'est un éparpillement de gens qui courent en tous sens ; et, lorsque la fumée s'est dissipée, on voit par terre, faisant taches sombres sur le jaune sale des chaumes, de vagues formes immobiles."

"Ceux de 14" de Maurice Genevoix - Première partie "Sous Verdun" - Points Seuil p41-42 -

Vaux_1

Couloir central du fort de Vaux

" Aussitôt le soldat entre en fureur :

"Lâchez-moi! Laissez-moi sortir! Je veux sortir!"

Il n'écoute rien et donne des coups autour de lui : il bave et vocifère des paroles qui n'ont pas de sens et dont il mange la moitié. C'est une crise de cette angoisse qui naît dans les abris des tranchées; il a l'impression d'étouffer où il est et une seule chose le préoccupe : parvenir à sortir. Si on le laissait faire, il se mettrait à courir n'importe où, sans s'abriter. Il n'est pas le premier à qui cela est arrivé.

Comme il est très violent et que déjà ses yeux chavirent, nous n'avons d'autres ressources que de l'assommer, afin qu'il devienne raisonnable. Nous le faisons vite et sans pitié et nous obtenons ainsi que, provisoirement, il se rassoie tranquille. Les autres sont devenus blêmes, pendant cette histoire; il faut espérer qu'elle leur inspirera une crainte salutaire. Ce bombardement continu dépasse ce que peuvent supporter ces pauvres diables; ils sont arrivés directement du dépôt des recrues pour tomber dans un enfer qui ferait grisonner même un ancien.

L'air irrespirable, après cela, éprouve encore davantage nos nerfs. Nous sommes assis comme dans notre tombe et nous n'attendons plus qu'une chose, qu'elle s'écroule sur nous."

"A l'ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque - Livre de poche p99-100 - Traduction de l'Allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac -

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Commentaires
M
... je voulais dire que la commémoration est toujours plus ambigüe avec le temps : donc plus humaine aussi. Morts victimes, morts tueurs.<br /> Ouais... sale situation...
H
Merci d'être passée Sophie...
S
Très bel hommage Harmonia. Et le SEUL. Merci, car j'avais l'impression d'être perdue...
H
Donc, extrait de "La boue" de Maurice Genevoix (p.357 et 358 de "Ceux de 14")<br /> <br /> "Je les ai trop regardés vivre. Je sais que celui-ci est un lâche, et celui-ci une brute, et celui-ci un ivrogne. Je sais que le soir de Sommaisne, Douce a volé une gorgée d'eau à son ami agonisant; que Faou a giflé une vieille femme parce qu'elle lui refusait des oeufs, que Chaffard, sur le champ de bataille d'Arrancy, a brisé à coups de crosse le crâne d'un blessé allemand... J'ai trop regardé les lueurs troubles de leurs yeux, les tares de leurs visages, tous leurs gestes de pauvres hommes. Je les ai regardés faire la guerre, et j'ai cru que je les voyais, peut-être que je les connaissais.<br /> Mais les yeux de Chamoiseau, cette nuit? Mais eux tous qqui sont là, couchés, et que je vois pour la première fois?... Ce sont eux. Ils respirent d'un grand souffle las. Membres mêlés, ils se donnent l'un à l'autre tout ce qu'ils se peuvent donner : la chaleur de leur corps misérable. "Mon frère qui grelotte, approche-toi davantage, et que toute ta chair se réchauffe... Mon frère qui ne cesses de tousser, endors-toi sur le bras que voilà, et que ta poitrine n'ait plus mal... Mon frère qui dors sur mon épaule, tu as raison d'avoir confiance en moi : je respirerai doucement pour ne point t'éveiller."<br /> Au dessus d'eux, un gémissement tremble dans les ténèbres. L'oiseau nocturne s'envole du clocher, monte vers le plein ciel à grands coups d'ailes silencieux : il me semble que je vois leur âme, leur âme sombre qui se délivre."<br /> <br /> On pourrait aussi ranimer le débat de Frédéric Rousseau sur la culture de guerre (et du consentement) face à la culture de la contrainte, rappeler aussi qu'il est aisé de constater que, globalement, l'adhésion des hommes en uniforme fut assez exactement proportionnelle à la distance qui les séparait de la première ligne tenue par l'infanterie...<br /> <br /> Enfin, surtout, je ne voulais pas parler seulement des soldats mais des conséquences de la guerre sur les familles (femmes, soeurs, frère, cousins) qui ont dû faire avec. Et cela, que le poilu ait été un salaud ou pas, c'est à la base de nombreuses généalogies familiales dont 50% de la mienne<br /> <br /> Bàv
H
Pas le temps de suite MCA, mais jetez un oeil sur mon billet de l'aspirant Laby (à la fin du mois d'octobre me semble-t-il). On y voit cette envie d'en découdre, de tuer du boche... Genevoix aussi a écrit des passages sur cette sauvagerie que je tenterai de retrouver ce soir puis de vous recopier.... Pas question de nier cela...<br /> Bon vraiment trop pressé... I will be back
L'astragale de Cassiopée
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