Lévi-Strauss ou va voir là-bas si j'y suis...
Comme dirait Dexter (dont j'ai bcp aimé l'intervention sur la RdLibres), s'il fallait beaucoup de lecteurs pour continer d'écrire, cela se saurait...Alors, je poursuis...
Levi-Strauss est donc encore aller voir ailleurs pour s'assurer qu'il n'y était pas... (mais que sa structure, peut-être)...
Je ne vais pas rajouter ma louche aux hommages à Levi-Strauss, dernier grand savant, dont il faut chercher la genèse du côté des Saussure, Mauss, etc. Dernier homme à la pensée d'une ampleur plus proche de celle de Darwin que de celle d'Onfray en quelque sorte. C'est sûr...
J'écrirais seulement que j'ai versé des larmes quand j'ai appris sa mort. Ceux et celles qui ont lu "Tristes tropiques" comprendront... Et aussi, quand même, exprimer mon attachement à un homme non aveuglé par l'anti-occidentalisme, qui savait que nous étions, nous occidentaux, de beaux salauds mais qu'il serait de la plus dangereuse des naïvetés de croire que d'autres auraient obligatoirement fait mieux...(au contraire même)
Je vous donne à lire ci-dessous, quelques extraits de la fin de "Tristes tropiques", ceux qui m'ont fait reprendre ma réflexion du "Toutes les religions se valent" blablabla blablabli. Les religions ne se valent pas, certaines sont pires que d'autres... Une psychose n'est pas une névrose...
L'islam et les tropiques...
" Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans
l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver
par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais
trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les
retient au bord de l'abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos
épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de
plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C'est ainsi qu'on en arrive au
burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique avec sa coupe
compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses
boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait
pour s'adapter exactement aux contours du corps humain tout en le
dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la
barrière du souci s'est seulement déplacée, puisque maintenant, il
suffira qu'on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous
tourmenterez plus encore. Une franche conversation avec de jeunes
musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le
problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ;
ensuite que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en
un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un
autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles
sont seules à connaître les détours. Cambrioleurs de harems quand ils
sont jeunes, ils ont de bonnes raisons pour s'en faire les gardiens une
fois mariés.
[...]
Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la
sensualité, s'est contenté de la réduire à des formes mineures :
parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se
heurte à la même équivoque d'une tolérance affichée en dépit d'un
prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le
contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se
perpétue sous la menace d'autres genres de vie, plus libres et plus
souples que le leur, et qui risquent de l'altérer par la seule
contigüité."
" Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire
que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle
victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés
dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction
entre la portée universelle de la révélation et l'admission de la
pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation "paradoxale" au
sens pavlovien, génératrice d'anxiété d'une part et de complaisance en
soi-même de l'autre, puisqu'on se croit capable, grâce à l'Islam, de
surmonter un pareil conflit. En vain, d'ailleurs : comme le remarquait
un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de
ce qu'ils professent la valeur universelle de grands principes :
liberté, égalité, tolérance ; et ils révoquent le crédit à quoi ils
prétendent en affirmant du même jet qu'ils sont les seuls à les
pratiquer."
" Grande religion qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que
sur l'impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la
bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue,
l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui
s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon
brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et
c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme
autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de
l'humiliation consiste dans une «néantisation» d'autrui, considéré
comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. La fraternité
islamique est la converse d'une exclusive contre les infidèles qui ne
peut pas s'avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle
équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants."
" Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il vérouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celle des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité.
On ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux,
voilà leur unique point commun. A tous autres égards ils s'opposent :
l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne,
l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et
l'autre messianique. Mais aussi, douze cent ans les séparent ; et c'est
l'autre malheur de la consience occidentale que le christianisme qui,
né plus tard, eût pu opérer leur synthèse, soit apparu "avant la lettre" - trop tôt - non comme une
conciliation a posteriori de deux extrêmes, mais passage de l'un à
l'autre : terme moyen d'une série destinée par sa logique interne, par
la géographie et par l'histoire, à se développer dorénavant dans le
sens de l'islam ; puisque ce dernier - les musulmans triomphent sur ce
point - représente la forme la plus évoluée de la pensée religieuse,
sans pour autant en être la meilleure : je dirais même en étant pour
cette raison la plus inquiétante des trois.
Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se
libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l’au-delà et
des angoisses de la magie. Séparés par l’intervalle approximatif d’un
demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le
christianisme et l’Islam ; et il est frappant de marquer que chaque
étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt
d’un recul. Il n’y a pas d’au-delà pour le bouddhisme ; tout
s'y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus
jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche sur
un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant
l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion. Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il
ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel
et le monde spirituels se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare
des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie. En
fin de compte, on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la
superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des
maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser
un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas.
[...]
Que l’Occident remonte aux sources de son déchirement : en
s’interposant entre le bouddhisme et le christianisme, l’islam nous a
islamisés, quand l'Occident s'est laissé entraîner par les croisades à s'opposer à lui et donc à lui ressembler, plutôt que se prêter - s'il n'avait pas existé - à cette lente osmose avec le bouddhisme qui nous eût christianisés davantage, et dans un sens d'autant plus chrétien que nous serions remontés en deçà du christianisme même. C'est alors que l'Occident a perdu sa chance de rester femme."
Et puis, pour finir, je pense au parallèle possible entre le Freud de "Malaise dans la civilisation" (l'unité d'un groupe reste possible tant qu'il subsiste un autre groupe sur lequel on peut se déchaîner ou que l'on peut fondre dans le sien, etc) et le pessimisme très profond de Lévi-Strauss, pessismisme qui se rapporte non pas seulement au fait, qu'un jour, l'Humanité apparaîsse mais dans ses chances de demeurer humaine encore un peu... (Humanité qui, d'après Lévi-Strauss, se rattache à notre rapport collectif aux animaux et aux plantes...)