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L'astragale de Cassiopée
5 novembre 2009

Lévi-Strauss ou va voir là-bas si j'y suis...

Comme dirait Dexter (dont j'ai bcp aimé l'intervention sur la RdLibres), s'il fallait beaucoup de lecteurs pour continer d'écrire, cela se saurait...Alors, je poursuis...

Levi-Strauss est donc encore aller voir ailleurs pour s'assurer qu'il n'y était pas... (mais que sa structure, peut-être)...

Je ne vais pas rajouter ma louche aux hommages à Levi-Strauss, dernier grand savant, dont il faut chercher la genèse du côté des Saussure, Mauss, etc. Dernier homme à la pensée d'une ampleur plus proche de celle de Darwin que de celle d'Onfray en quelque sorte. C'est sûr...

J'écrirais seulement que j'ai versé des larmes quand j'ai appris sa mort. Ceux et celles qui ont lu "Tristes tropiques" comprendront... Et aussi, quand même, exprimer mon attachement à un homme non aveuglé par l'anti-occidentalisme, qui savait que nous étions, nous occidentaux, de beaux salauds mais qu'il serait de la plus dangereuse des naïvetés de croire que d'autres auraient obligatoirement fait mieux...(au contraire même)

Je vous donne à lire ci-dessous, quelques extraits de la fin de "Tristes tropiques", ceux qui m'ont fait reprendre ma réflexion du "Toutes les religions se valent" blablabla blablabli. Les religions ne se valent pas, certaines sont pires que d'autres... Une psychose n'est pas une névrose...
L'islam et les tropiques...

tristes_tropiques


" Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C'est ainsi qu'on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s'adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s'est seulement déplacée, puisque maintenant, il suffira qu'on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours. Cambrioleurs de harems quand ils sont jeunes, ils ont de bonnes raisons pour s'en faire les gardiens une fois mariés.
[...]
Sur le plan esthétique, le puritanisme islamique, renonçant à abolir la sensualité, s'est contenté de la réduire à des formes mineures : parfums, dentelles, broderies et jardins. Sur le plan moral, on se heurte à la même équivoque d'une tolérance affichée en dépit d'un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse. Leur genre de vie provincial se perpétue sous la menace d'autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l'altérer par la seule contigüité."

" Plutôt que parler de tolérance, il vaudrait mieux dire que cette tolérance, dans la mesure où elle existe, est une perpétuelle victoire sur eux-mêmes. En la préconisant, le Prophète les a placés dans une situation de crise permanente, qui résulte de la contradiction entre la portée universelle de la révélation et l'admission de la pluralité des fois religieuses. Il y a là une situation "paradoxale" au sens pavlovien, génératrice d'anxiété d'une part et de complaisance en soi-même de l'autre, puisqu'on se croit capable, grâce à l'Islam, de surmonter un pareil conflit. En vain, d'ailleurs : comme le remarquait un jour devant moi un philosophe indien, les musulmans tirent vanité de ce qu'ils professent la valeur universelle de grands principes : liberté, égalité, tolérance ; et ils révoquent le crédit à quoi ils prétendent en affirmant du même jet qu'ils sont les seuls à les pratiquer."

" Grande religion qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une «néantisation» d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d'une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s'avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants."


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" Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il vérouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celle des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité.

On ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux, voilà leur unique point commun. A tous autres égards ils s'opposent : l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne, l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et l'autre messianique. Mais aussi, douze cent ans les séparent ; et c'est l'autre malheur de la consience occidentale que le christianisme qui, né plus tard, eût pu opérer leur synthèse, soit apparu "avant la lettre" - trop tôt - non comme une conciliation a posteriori de deux extrêmes, mais passage de l'un à l'autre : terme moyen d'une série destinée par sa logique interne, par la géographie et par l'histoire, à se développer dorénavant dans le sens de l'islam ; puisque ce dernier - les musulmans triomphent sur ce point - représente la forme la plus évoluée de la pensée religieuse, sans pour autant en être la meilleure : je dirais même en étant pour cette raison la plus inquiétante des trois.

Les hommes ont fait trois grandes tentatives religieuses pour se libérer de la persécution des morts, de la malfaisance de l’au-delà et des angoisses de la magie. Séparés par l’intervalle approximatif d’un demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l’Islam ; et il est frappant de marquer que chaque étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d’un recul. Il n’y a pas d’au-delà pour le bouddhisme ; tout s'y réduit à une critique radicale, comme l'humanité ne devait plus jamais s'en montrer capable, au terme de laquelle le sage débouche sur un refus du sens des choses et des êtres : discipline abolissant l'univers et qui s'abolit elle-même comme religion. Cédant de nouveau à la peur, le christianisme rétablit l'autre monde, ses espoirs, ses menaces et son dernier jugement. Il ne reste plus à l'Islam qu'à lui enchaîner celui-ci : le monde temporel et le monde spirituels se trouvent rassemblés. L'ordre social se pare des prestiges de l'ordre surnaturel, la politique devient théologie. En fin de compte, on a remplacé des esprits et des fantômes auxquels la superstition n'arrivait tout de même pas à donner la vie, par des maîtres déjà trop réels, auxquels on permet en surplus de monopoliser un au-delà qui ajoute son poids au poids déjà écrasant de l'ici-bas.

[...]

Que l’Occident remonte aux sources de son déchirement : en s’interposant entre le bouddhisme et le christianisme, l’islam nous a islamisés, quand l'Occident s'est laissé entraîner par les croisades à s'opposer à lui et donc à lui ressembler, plutôt que se prêter - s'il n'avait pas existé - à cette lente osmose avec le bouddhisme qui nous eût christianisés davantage, et dans un sens d'autant plus chrétien que nous serions remontés en deçà du christianisme même. C'est alors que l'Occident a perdu sa chance de rester femme."

Malaise_dans_la_civilisation

Et puis, pour finir, je pense au parallèle possible entre le Freud de "Malaise dans la civilisation" (l'unité  d'un groupe reste possible tant qu'il subsiste un autre groupe sur lequel on peut se déchaîner ou que l'on peut fondre dans le sien, etc) et le pessimisme très profond de Lévi-Strauss, pessismisme qui se rapporte non pas seulement au fait, qu'un jour, l'Humanité apparaîsse mais dans ses chances de demeurer humaine encore un peu... (Humanité qui, d'après Lévi-Strauss, se rattache à notre rapport collectif aux animaux et aux plantes...)

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Commentaires
H
On insiste toujours sur le pessimisme (éclairé) de Lévi-Strauss, moins sur l'humour qui, bien souvent, lui est attaché...<br /> Un blogueur dont je tais le nom (ne lui ayant pas demandé l'autorisation de le citer) m'a fait parvenir la reprise d'un article de 1999 paru ces jours-ci dans la London Review of Books.<br /> Je vous le propose ci-dessous : <br /> <br /> " Last week I went to Claude Lévi-Strauss’s 90th birthday party at the Collège de France. It seemed an unremarkable occasion at first. Though the courtyard of the Collège de France is fittingly grand for the republic’s premiere scholarly institution, the rooms inside are meanly proportioned and shabby. The three dozen or so academics in attendance looked dreary and moth-eaten the way academics do. There was a sprinkling of journalists, but no cameras or microphones. Fortified by a couple of glasses of indifferent burgundy, I obtained an introduction to Lévi-Strauss, who rose with difficulty from his chair and shook my hand tremulously. The conversation went poorly, owing both to my shaky French and to my lack of conviction that the nonagenarian I was talking to could actually be Claude Lévi-Strauss.<br /> A few minutes later, he was asked to give a little speech. He spoke extemporaneously, without notes, in a slow, stately voice.<br /> ‘Montaigne,’ he began, ‘said that aging diminishes us each day in a way that, when death finally arrives, it takes away only a quarter or half the man. But Montaigne only lived to be 59, so he could have no idea of the extreme old age I find myself in today’ – which, he added, was one of the ‘most curious surprises of my existence’. He said he felt like a ‘shattered hologram’ that had lost its unity but still retained an image of the whole self.<br /> This was not the speech we were expecting. It was intimate, it was about death.<br /> Lévi-Strauss went on to talk about the ‘dialogue’ between the eroded self he had become – le moi réel – and the ideal self that coexisted with it: le moi métonymique. The latter, planning ambitious new intellectual projects, says to the former: ‘You must continue.’ But the former replies: ‘That’s your business – only you can see things whole.’ He then thanked those assembled for helping him silence this weird dialogue and allowing his two selves to ‘coincide’ again for a moment. ‘Although,’ he added, ‘I am well aware that le moi réel will continue to sink toward its ultimate dissolution.’<br /> It was pretty affecting stuff, and I must admit that I had to avert my eyes and do a little manly fist-clenching and shoulder-squaring before I was ready to go out into the drizzly Parisian night for a nice comforting plate of choucroute."
R
Je pense qu'il est moins prestigieux que Claude Lévi-Strauss, et surtout, lorsqu'il a parlé de l'Islam, il l'a fait en réalité en abandonnant le point de vue occidental habituel, et en s'efforçant de pénétrer le sens de ce qu'il étudiait et de le transmettre fidèlement : il n'a pas eu de "regard critique" (structuraliste ou autre) sur la matière qu'il étudiait. En fait, il adhérait à la gnose qu'il étudiait : il avait de l'empathie. Il n'a fait donc que la présenter à des Français, en mettant cela à leur portée, déjà en s'exprimant en français, et aussi en résumant et en synthétisant. Car les Orientaux peuvent être extrêmement diserts. C'est pourquoi on peut en juger librement, ensuite. Et de fait, certains ont lu Corbin et en ont tiré qu'ils n'aimaient pas l'Islam. Il n'y a pas d'obligation.<br /> <br /> Cependant, ici, la question des moeurs n'est pas tellement présente : ce qui justement peut rebuter l'Occidental ordinaire, c'est l'essence ésotérique de la tradition islamique. Pour les moeurs de l'Arabie médiévale ordinaire, il vaut mieux lire les "1001 Nuits", y compris dans la traduction d'Antoine Galland, qui a simplement lissé ce qui dans la tradition arabe était trop érotique ou lyrique, répétitif (et "disert"). De fait, dans la tradition arabe, il y a, comme en Inde, une tradition érotique forte, et Joseph de Maistre reprochait justement à l'Islam de ne pas châtier assez l'âme, de ce point de vue, de lui laisser trop la bride lâche, non pas seulement pour l'autre monde, mais dans ce monde même. Bien sûr, il faut, comme le suggère Lévi-Strauss, que cela entre dans un cadre légal, et Joseph de Maistre, qui avait été élevé dans une ville plutôt chaste et prude (Chambéry), ne se rendait peut-être pas compte à quel point, à Paris, par exemple, on faisait pareil qu'en Orient, mais dans un cadre officiellement illicite voire illégal (en son temps, je veux dire, et au moins, jusqu'à la Révolution). Il reste bien sûr la question de l'inégalité des droits entre l'homme et la femme, à cet égard, au sein même des lois, mais Lévi-Strauss n'aborde pas tellement ce problème : il parle réellement de la pudibonderie masculine. (Pour Joseph de Maistre, il louait les hommes fidèles au serment du mariage monogame, et l'égalité devait régner en ce sens : le problème ne se posait donc pas.)
H
Tiens, et puis, en guise d'amuse-gueule, cette merveilleuse définition de Flaubert dans son dictionnaire des idées reçues...<br /> Orientaliste : homme qui a beaucoup voyagé...
H
Kara, j'avais oublié que Stéphane était le frère de Fred Vargas qui, en effet, a publié une thèse sous le nom d'Audoin-Rouzeau (elle est chez Tallandier Texto)... Ces polars? Mouais...Dans une grande douleur, j'ai lu "Pars vite et reviens tard" puis "Morituri te salutant"... Pas du tout eu envie de poursuivre...<br /> <br /> Merci rm de vos passages. Je n'ai rien lu de Henry Corbin. Slt entendu qques émissions à lui consacrées sur France Culture... Dc, je ne peux pas en dire grand chose mais suis tout ouïe...<br /> Question : En quoi Henry Corbin n'est-il pas un occidental prestigieux?
K
Merci à vous pour cette incitation à lire et d'avoir si clairement défini le point de vue de l'auteur: .désolée de ne m'être pont relue<br /> Un bon après-midi
L'astragale de Cassiopée
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