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L'astragale de Cassiopée
30 octobre 2009

Les carnets de l'aspirant Laby, médecin dans les tranchées - 28 juillet 1914-14 juillet 1919

En 2001, chez Bayard (Réédition en poche Hachette Pluriel), paraissaient les carnets de l'aspirant Laby, médecin dans les tranchées. La rareté de ce document vient principalement du fait que le journal a été rédigé quotidiennement ou presque pendant la guerre (parfois sous les bombardements) et qu'il n'a pas été retouché ou très peu par la suite. Ceci le différencie d'un livre comme celui du docteur Louis Maufrais qui avait enregistré ses mémoires "tardivement"  sur bande magnétique et dont les éditions Robert Laffont ont fait un livre l'an dernier.

Carnets_aspirant_Laby

Ces carnets offrent des pages saisissantes dans lesquelles on retrouve la haine du Boche (souvent appelés aussi cochons, salauds...), haine de 1914 mais qui, malgré toutes les horreurs et la perte de sens, se maintient tout du long du carnet, le désir de reconnaissance par les décorations, la gêne du médecin qui reste un peu en arrière et qui ne se sent soulagé de cela qu'après avoir participé à une fusillade avec l'espoir d'avoir fait mouche (les premiers mois sont emplis de cette obsession de faire son devoir de français, c'est-à-dire de dézinguer un ou plusieurs Allemands) mais aussi et surtout la peur que l'aspirant veut toujours contrôler, l'horreur des blessures, le courage des hommes, les abominables conditions d'hygiène individuelle et d'exercice de la médecine (qui se limite très vite sur le front à la pose de pansement les mains pleines de boue)

Dans un premier temps, je vous propose des extraits des années 1914 et 1915.

Question : Ne trouvez-vous pas, à la lecture, quelque chose du rythme et de la musique de Céline?

1914 :

Otto_Dix_1

" Lundi 9 novembre. Aujourd'hui l'ordre est, pour les hommes, de rester dans leurs trous sans répondre aux Boches. Aussi le capitaine nous invite à "faire un carton", ce qui est accepté avec empressement. Le jour se lève lentement, et la brume plus lentement encore. Enfin! On les aperçoit. Alors on s'en donne à coeur joie! Entre eux et nous sont plusieurs cadavres français. Je tire avec énergie. Je retire mon képi, car il paraît qu'il faut se méfier. Je tire au-dessus du parapet, sans me servir des créneaux, trop incommodes, et je vise de mon mieux. Je peux bien risquer un peu pour une fois! Si, la nuit précédente, j'ai éprouvé des sensations aussi vives que désagréables, je suis ce matin rudement heureux. Un grand diable de Boche émerge de son trou, avec une pelle. Pan! Il disparaît. Plusieurs fois j'en vois disparaître mais... les ai-je atteints? Moi-même, chaque fois que je tire, je me fais canarder. Quand un endroit est trop repéré par eux, on va à dix mètres plus loin et on recommence. Je tire au mousqueton - au Lebel - au revolver. A midi, on va déjeuner dans la cagna du Capitaine. Très gai, repas froid. Champagne. On répond par nos bouchons aux rafales qui passent au-dessus. Dans la tranchée des dragons, qui est à trente mètres des Boches, on s'envoie des betteraves et des boîtes de conserve sur la figure. La grande distraction consiste à s'engueuler avec eux."

Otto_Dix_3

1915 :

" Samedi 20 février . Tranchées - Neige - Vent - Pluie.

Dimanche 21 février. Tranchées - Neige - Vent - Pluie.

Lundi 22 février. Tranchées - Neige - Vent - Pluie.

(Rien à voir avec la première page du journal de Gombrowicz mais j'y ai pensé)

Mercredi 29 septembre. [...] Au moment de revenir, un feu de barrage très dense se déclenche entre le régiment et le Poste de Sécurité. Marmites panachées, de tous calibres. On attend un quart d'heure dans une tranchée puis, comme un ralentissement semble se produire, on part. Malheureusement, cela redouble d'intensité. Nous sommes pris dans un véritable ouragan. Je prends la tête; les autres (huit ou dix) me suivent de quatre en quatre mètres. Des chevaux tombent à côté de nous.[...] Mes pieds sont toujours dans l'eau! - Comme c'est désagréable! - J'ai une trachéite carabinée. Temps atroce, toujours. Dans les boyaux, on marche sur les tas de Boches crevés. Ah! Ceux-là ont voulu venir en France! Ils y restent... et pour longtemps. Après-midi, arrosage copieux de 77.

Jeudi 30 septembre. Les Boches tiennent toujours bon devant nous. Ah! Quand les aurons-nous, ces cochons-là? - Les 32ème et 33ème colonial qui ont fait le gros de l'attaque sont relevés. Ils sont fourbus mais sont gais. Ils ont subi de grosses pertes. On a enfin recouvert les macchabés boches dans les boyaux, avec un peu de boue. Les boyaux sont maintenant d'une élasticité remarquable : le Boche fait ressort.

Otto_Dix_2

Mercredi 6 octobre. A trois heures du matin, tout le monde est debout. Les marmites tombent si près que la lampe à acétylène et les bougies de notre Poste de Sécurité s'éteignent plusieurs fois. La 23ème compagnie attaque la première, mais les fils de fer barbelés ne sont pas complètement amochés et notre première vague se brise dessus. Une trentaine de blessés nous arrivent - parmi lesquels le lieutenant Martin (de la garde républicaine) : un bras cassé et deux doigts enlevés; le sergent Lévy qui semble un peu fou et a un enfoncement du crâne; l'adjudant Gauthier. Il paraît que le lieutenant Waller, un bon camarade, est resté, blessé, dans un trou de marmite devant les fils boches à 50 mètres de nos lignes : touché très grièvement à la tête. Impossibilité absolue d'aller le relever en plein jour. J'irai le chercher ce soir, à la tombée de la nuit, avec deux brancardiers. Ce sera dur. On aura de la veine si on en revient... L'adjudant Brochard vient d'être tué; c'était un bon copain, mon voisin de table. Je viens de demander à Roudouly à aller chercher Waller ce soir; il me l'a défendu, disant que ce n'était pas ma place. Les brancardiers le ramèneront à la nuit; il a une blessure horrible à voir; il a la moitié de la face enlevée, à gauche. Il est défiguré entièrement, avec un trou où on pourrait mettre deux poings. Très courageux. Pertes d'aujourd'hui: quatre-vingt-dix hommes. La nuit, on prend le quart chacun son tour; moi, de 3 à 6 heures. Gros obus tout autour de notre abri.

Vendredi 8 octobre. [...] Pertes énormes. Nous faisons des pansements sans arrêt, de 16 heures à 1 heure du matin, sous un bombardement terrible. On est absolument fous. On perd huit cents hommes environ et tous les officiers des compagnies sauf quatre. Il n'y en a plus un seul au 5ème bataillon.

Dimanche 10 octobre. Journée dans le bois de sapins. Je me lave et tue mes pous. Quel bien-être! Sur mille cinq cents nous restons six cents.

Otto_Dix_4

Vendredi 12 novembre. Sarry : allocution aux troupes du général de Dartein, toujours le même : "Vous irez au paradis des braves gens... avec Clovis et Jeanne d'Arc, etc." On rigole. Il n'arrive pas à sortir son épée!!!...

Samedi 4 décembre.  [...] Le bataillon part à 16 heures. Véritable tempête.  Boue. Qu'est-ce que ce sera dans les boyaux où il y avait déjà pas mal d'eau ce matin!! - Souain. Ferme des Wacques. Au Bois Guillaume, on prend le boyau du 2ème mixte. Il y a deux kilomètres de long. Nous allons mettre trois longues heures à le parcourir, dans une eau glacée. Au début, nous plaisantons. Je suis avec Trutru Fenaux, en tête de la 22ème. Tant que l'eau est fluide, ça va à peu près. Mais bientôt la boue devient épaisse et dépasse les genoux. Bientôt on en a jusqu'aux cuisses... Parfois, quand on tombe dans un trou, jusqu'au ventre. Et puis, c'est tellement glaiseux qu'il faut fournir un véritable effort pour sortir chaque jambe tour à tour... On tire ses genoux avec ses mains... Nous ne rions plus du tout. Plusieurs s'embourbent jusqu'à la taille. Enlisements. Il y en a qui vont rester là jusqu'à demain matin et qu'on viendra rechercher avec des cordes. Je passe à côté d'un clairon, un barbu, qui en a presque jusqu'au cou : je l'aide à se sortir et j'essaie de le porter... Hélas! au bout de dix mètres d'effort, je le laisse retomber... et l'abandonne là. nombreux à-coups. On piétine sur place. J'engueule un "imbécile" qui se balade avec une lampe électrique : malaise! C'est le commandant!!

Mardi 7 décembre. Bombardement formidable toute la journée. Huit blessés. Gros obus en masse,, sans arrêt. On est un peu énervés, malgré l'entraînement. Je suis presque sourd. Deux obus éclatent dans mon boyau du PS qui est comblé. Je vais dans le boyau Dadi Sista voir les copains de la 24ème. En revenant, dans ce boyau, je suis fiché par terre par quatre obus - qui comblent le boyau. Je suis un peu dingo pendant un quart d'heure. Vers 18 heures, cela se calme. Il n'est que temps.

Otto_Dix_5

Vendredi 31 décembre. Ouf! Une année de tirée. Espérons que l'année prochaine à cette époque-ci, la guerre sera terminée!!"

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Commentaires
K
*par à la place de pour"
K
à deux heures de l'après-midi et sans les images cela se lit , mais c'est bien à cause de Tartini .<br /> le fait que vous soulignez qu'on est en Décembre 1914...n'échappe pas et que malgré l'espoir de l'aspirant Laby...personne ne sait quand cela prend fin. c'est ce qui me paraît souvent impensé pour ceux qui sont nés après, quelques soient les dates .
M
-" Samedi 20 février . Tranchées - Neige - Vent - Pluie.<br /> <br /> Dimanche 21 février. Tranchées - Neige - Vent - Pluie.<br /> <br /> Lundi 22 février. Tranchées - Neige - Vent - Pluie.<br /> <br /> (Rien à voir avec la première page du journal de Gombrowicz mais j'y ai pensé)-<br /> <br /> -Lundi ....moi<br /> -Mardi....moi<br /> -Mercredi...moi<br /> -Jeudi...moi..............Witold Gombrowicz Journal Tome I 1953_1958<br /> <br /> (je n'y aurais pas pensé mais...
K
Lecteurs ...ouais ! Lectrices...(tête jaune virant au verdâtre, grimaçant aussi)-tranchante tiens ! Moi qui croyait que t'écrivait presque que pour moi !!!<br /> moi aussi j'ai eu des échos du" chemin des dames" et même que mon grand-papa, ma grande maman et leurs neuf et demi bambins ont eu leur maison cassée au Havre et qu'ils sont descendus vers le sud pour qu'un jour je puisse venir pleurnicher sur ce billet Ce qu'il en ait Harmonia de tout cela vous avez bien fait l'écrire en ce billet,
H
Hummm Pado... Ma famille a également été très "frappée" par la première guerre mondiale. Egalement bien connu (puisqu'il est mort centenaire en 1990) mon arrière grand-père, gueule cassée, dont le frère y avait laissé sa peau... Arrière grand-père s'est ensuite marié avec la fiancée de son frère (mort et disparu)... <br /> Je ne l'ai jamais entendu en parler de la guerre, il a par contre laissé un récit (avec croquis) des heures qui ont précédé sa blessure et des jours qui ont suivi (le rapatriement sur Amiens puis Rouen) <br /> <br /> Dans d'autres branches de famille, il y a également d'autres liens avec cette guerre...<br /> <br /> J'ai une génération de plus d'écart avec les combattants de la Grande Guerre par rapport à vous. Peut-être cela une partie de l'explication qui fait que moi, je me "plonge" dans ce conflit, à la recherche de fantômes, de spectres, de ratages...<br /> Et puis, comme Européen, je sens le besoin d'aller "farfouiller" là...<br /> Of course, je ne vous en voudrais pas de ne pas lire (manquerait plus que cela ;o)...)<br /> <br /> Kara, ce n'est pas Céline ;o). Qd je lis certains (nombreux) passages de ces carnets, je retrouve qque chose du rythme Célinien. Alors, forcément, je ne peux pas passer à côté du questionnement et voudrais avoir l'avis d'autres lecteurs ;o)
L'astragale de Cassiopée
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